Clive le Vengeur. Partie 1. Clive au New York City ballet. Voir Erik danser.
-J’espère que nous « serons en affaire », pour reprendre votre expression…Je m’appelle vraiment Julian Barney.
-Et je m'appelle vraiment Clive Dorwell.
Il m’a adressé un sourire plus amusé que froid et a laissé le serveur placer devant nous le cocktail que j’avais commandé ainsi que le thé Darjeeling qu’il se réservait. Il a ensuite marqué un silence puis m’ayant observé et détaillé, il a repris la parole :
-Le Lac des cygnes, que me dites-vous là-dessus ?
-J’ai grandi dans le New Jersey. C’est le premier ballet classique que j’ai vu. Le New York City ballet nous rendait visite. Moi, je faisais de l’athlétisme. J’étais bon. Je ne m’attendais en rien au choc que j’ai eu…C’était tellement, tellement beau, merveilleux…Je veux dire…tout ! Je crois que je n’ai rien oublié de cette représentation. Ça a été une leçon…L’art tout d’un coup. Après, j’ai essayé de travailler pour un théâtre comme éclairagiste. Créer de la lumière pour les danseurs, selon moi, c’est très important…
-Vous avez raison…
-Peut-être que oui. En tout cas, j’ai dû trouver quelque chose de plus stable et de plus lucratif…
-Que l’observation de la danse ?
-Qu'une profession artistique puisqu'il faut avoir le talent pour et d'un quelconque travail de technicien dans une salle de spectacle.
-Difficile de faire une formation ?
-Non, je l'ai faite mais il me fallait une stabilité, d’où mon emploi actuel qui consiste à assurer les gens : la maison, la santé.... Je monte en grade et je m'en tire bien. Ceci dit, je n’ai pas lâché la danse. Il existe des spectacles abordables et j’aime la Streets dance ; mais, pour dire la vérité, cette émotion primordiale est restée une vraie expérience. Ce spectacle total, cet éphémère…
Mon mélange de fruits et de rhum ne m’enivrait guère et lui semblait tout à son thé racé. Toutefois, je le sentais, je venais de marquer des points ; il ne me rejetait pas. Dans ma tête, tentaient de s’imposer les criailleries vénales qui lui auraient convenu, à lui, cet homme chic délaissé, qui allait me préciser sa vengeance mais ça ne fonctionnait guère…
Ton foutu bar chic et toi, là avec tes beaux habits, ton regard perçant et tes cheveux qu’un bon coiffeur a mis en ordre…Je n’ai pas de culture…c’est ça que tu penses…Je vais être ton larbin parce que justement, je n’en ai pas ! Mais j’ai des émotions artistiques ! Attention, ne me prends pas pour un débile !
Mais tout ceci n’avait pas grand sens. Il m’impressionnait trop. Et ça se comprenait. Je m’étais peut-être, au cours de ma vie, trouvé dans des situations bizarres mais jamais dans celle-ci. Et puis, si j’avais été moins agité, j’aurais lu en lui. Il n’était pas si sûr de lui que cela. Il tentait le coup. Mais moi, je ne voyais rien.
-Vous parlez très bien de la danse. En effet, c’est un art de l’éphémère et en ce sens, il est unique ! Pas de trace en dehors du filmage…Nous sommes loin de la peinture et de la sculpture…
-Où voulez-vous en venir ?
-Il est danseur, je veux dire danseur classique.
-Et c’est ce que je vous ai dit qui me fait remporter la sélection ? Je ne suis pas le seul à vous avoir répondu…non ?
Il a haussé les épaules.
-Non, bien sûr que non. J’ai dû faire un tri sévère, vous vous en doutez bien…
-Oui, j’imagine bien.
-Il m’est resté trois propositions bien tournées mais j’ai décidé de vous rencontrer, vous.
-Pas les deux autres ?
-Non. Vous avez su être laconique, ça m’a plu.
-D’accord…
-J’en viens au fait. Ce…jeune homme. Ne vous méprenez pas sur lui. Il travaille pour le New York City ballet. Il est danseur soliste. C’est une personne cultivée et intelligente.
-C’est bien ! Alors, comme ça, il convient à quelqu’un comme vous.
-Tout à fait. Cependant, il n’a pas fait…ce qu’il aurait dû faire. Mais, il est fait pour moi…
-Ou, je ne sais pas, pour quelqu’un de votre caste.
-Non, vous m’avez mal compris : il est fait pour moi. Il faut opérer quelques réajustements, c’est tout.
-Et je dois m’en charger, parce que j’ai vu…Le Lac des cygnes…
-Oui, entre autres. Ah mais il y a peut-être autre chose concernant la danse…
-Euh, oui, ma fille Carolyn est ballerine…
-Ah mais ça, c’est très intéressant ! Elle fait de la danse depuis longtemps ?
-Huit ans. Elle prend deux cours par semaine et fait des stages.
-Merveilleux ! J’ai eu raison de vous répondre. C’est un atout supplémentaire, cela. Bien. Il faut commencer par vous approcher de lui…
J’avais vraiment envie d’un deuxième cocktail car ce type fascinant semait en moi un trouble très violent. Il a compris mon malaise et a fait signe au serveur. La même belle mixture orangée est réapparue devant mes yeux mais elle n’a pas dissipé mon trouble.
-Je m’approche de lui… Pour vous, ça va de soi, c’est facile…