Clive le Vegeur. Partie 1. Jeunesse. Kirsten, Clive et la danse.
-Merci. J’ai le triomphe modeste. Mais Je parlais de ton présent ! Dis-moi, où as-tu eu ces billets ?
-C’est mon affaire. Avoue que l’occasion est trop bonne…
-De voir ?
-Le Lac des cygnes !
-Ma mère dit que ça n’en finit plus !
-Madame Dorwell est une fanatique de la danse classique ?
-C’est ça, fiche-toi d’elle ! Ma mère n’aime que les séries télé avec des soldats musclés et les émissions de variété.
-Je ne te le fais pas dire. Et ton père….
J’ai préféré ne pas lui dire ce mon père et ma mère pensaient des danseuses classiques. Elles n’étaient pas des femmes mais des artistes : autant dire que ce qu’elles faisaient était vide et vain. Gesticuler en scène comme ça ! Des femmes bien trop minces qui peineraient à se marier et à enfanter. Elles feraient comment pour accoucher normalement ? Quant aux danseurs, ils faisaient honte à l’Amérique : tous des invertis ! La plaie de l’Amérique, c’était les pédés, les drogués et les Noirs…Facile à comprendre, quand même ! C’est clair, Kirsten connaissait mes parents et son opinion sur eux n’était pas très positive mais cette fille avait en elle une sorte d’optimisme forcené qui lui faisait croire qu’au bout du compte, tout pourrait s’arranger. Elle imaginait donc que Louise et Peter Dorwell ne seraient pas ad vitam æternam les créatures bornées qu’ils s’appliquaient pourtant à être depuis leur naissance ; le bon Dieu s’aviserait quand même que deux ahuris pareils, ce n’était plus possible ! En en mettant un sacré coup, il les transformerait en je ne sais quelles créatures ouvertes et bienfaisantes. Cette Kirsten ! Autant lui laisser ses illusions ! On peut toujours rêver quand on d’autres parents ! Agnès, sa mère, pourtant simple éducatrice de jeunes enfants était d’une grande ouverture d’esprit et d’une bonté inépuisable. Quant à Steve, son père, il dirigeait un petit garage. C’était un vrai démocrate, un homme modéré et plein de compassion. Voilà des gens qui habitaient le même quartier que nous, à Newark, donc pas un très beau quartier, eh bien, sur eux, il n’y avait rien à dire de mal ! Un couple vraiment sympathique, équilibré et qu’on gagnait franchement à connaître. Ils adoraient leur fille et elle les aimait profondément en retour. Dîner chez eux, c’était échapper aux couplets insistants sur les minorités raciales qui n’en font qu’à leur tête, la nécessité d’être armé chez soi et le bien-fondé d’une morale stricte en matière sexuelle. Marre de tous ces dévoyés….
-Tu vas adorer. Tu verras, ce sera une soirée merveilleuse.
-Faudra que je dise à la maison qu’on va au cinéma pour voir un film !