Clive le Vengeur. Partie 1. Enfin une réponse !
Un matin, quelques jours après cette crise de rire, à mon bureau, dans le Bronx, la lettre m’attendait. Une belle enveloppe doublée de rouge. Ah, c’est bizarre, j’ai tout de suite su…
Putain, il a répondu…
Il a fallu que je sois seul au bureau, ce qui n’est pas évident : ça rentre et ça sort là-dedans. J’avais le cœur qui battait.
Il a écrit sur l’enveloppe ; ce n’est pas dactylographié. C’est manuscrit. Je ne peux pas le croire. Elle est classe son écriture. Penchée à droite. Il paraît que c’est un signe d’attention aux autres, d’ouverture d’esprit….
J’ai déplié la feuille qu’il avait pliée en quatre. Il me retournait les photos….
Merde, tu ne veux pas. Allez, laisse-moi le voir ton joli joli, là…Allez, laisse-moi une chance. Comme chasseur patient, je suis bon…Je te le capturerai, ton petit ami qui te fait des misères, tu verras…
Et j’ai lu :
« Bonjour Clive, oh, vous aimez Le Lac des cygnes ! Il aime beaucoup ce ballet lui-aussi mais pour des raisons qui lui sont personnelles. Vous me semblez adéquat. En vérité, je souhaiterais vous donner rendez-vous au bar Pléiades du Surrey hôtel. C’est dans la soixante-seizième. C’est très élégant. Enfin, il faut aimer Chanel. Vous savez la grande couturière française ! Le décor du bar est un hommage à l’univers qu’elle a su créer. Vous verrez, c’est extrêmement réussi. Pouvez utiliser le numéro de téléphone ci-joint pour me contacter. Nous nous mettrons ainsi d’accord sur le jour et l’heure. N’ayez aucune crainte sur la proie que je vous indique. Il s’agit vraiment d’une belle personne. Elle fera vos délices, si tant est que vous possédiez la ruse nécessaire. Au plaisir de vous lire. Julian B. »
J’en suis tombé des nues. Le salopard ! Il cherchait donc vraiment quelqu’un qui le venge, un homme de paille. Il contrôlerait tout. Incroyable. Sa réponse a fait naître en moi des réactions plutôt contrastées ; mais voyez plutôt.
T’es de la haute, toi, je le sens. T’as pas de souci de fin de mois. Je parie que ta voix, c’est le corollaire de ta putain de lettre ! Et lui, le beau bibelot, pardon « la belle personne », c’est quoi, lui, un micheton, enfin un gigolo de luxe ? T’es en rapport d’argent avec lui, c’est ça ? Putain, mais sûr que je vais te rencontrer ! Ton Surrey hôtel, là, compte-sur moi ! Le Lac des cygnes ! C’est ça qui t’a décidé ? Il fallait juste cette photo parce que je montrais le programme à celui qui nous prenait en photo ! Attends-voir ! Il faut que je te voie et que je tire ça au clair…
Évidemment, j’ai hésité. Lui téléphoner comme ça. Bon, le soir ou le matin ? Finalement, j’ai choisi la fin de matinée. J’ai essayé de me présenter clairement et il a tout de suite réagi. Il avait une voix un peu sèche mais belle et n’avait pas l’air d’être du genre à chercher ses mots. Le rendez-vous a été pris très vite. Quand il a raccroché, j’ai eu la gorge sèche. J’ai compris que je ne pourrais pas parler de lui familièrement.
Le tutoiement, les expressions familières, ça n’irait pas, pas du tout. J’étais face à un roc, un homme dur ; il avait ses failles évidemment mais il ne les montrerait pas. Et puis, c’était bizarre. Il ne me proposait pas une collaboration. Il me proposait sciemment de m’utiliser. J’acceptais ou non. Il ne ferait pas un geste au bar si toutefois je n’étais plus d’accord. Et les conditions, au fait, c’était quoi, déjà ? C’était moral : tu es capable de le faire ou pas car il ne va pas te tomber dans les bras comme ça, celui que je te désigne…Ou bien, c’était financier : si tu y arrives, je te donnerai un coup de pouce. J’ai de l’argent. Pas besoin de dire merci.
Julian B.
Pléiades bar du Surrey hôtel, dans la soixante-seizième. Il m’a même dit où il serait assis.
J’ai compté les jours, les heures. J’ai relu la lettre encore et encore et j’ai changé cinq fois de costume avant de partir au rendez-vous fixé. Il avait été fixé à onze heures et c’était un mardi. J’avais dû bousculer mon planning de la semaine, sachant que ce jour-là, je ne devais théoriquement pas être à New York mais cela s’était passé correctement. Par contre, j’avais fait moins de sport et m’étais montré d’une humeur particulièrement difficile à la maison, ce qui m’avait valu des remontrances répétées de la part de ma femme et ma fille. Je devrais impérativement m’en excuser, toujours dans ma logique d’écarter tout soupçon possible.