Clive le Vengeur. Partie 3. Un ballet et deux ruptures.
J’avais acheté des jumelles de théâtre, dont en théorie je pouvais me passer puisque j’étais au troisième rang, mais je m’en suis servi pour regarder les visages des trois danseurs. Les filles étaient blondes comme Erik mais la teinte de leurs cheveux était plus foncée. Tous trois étaient beaux. Lui, comme je l’observais, me paraissait particulièrement rayonnant comme si son visage était dilaté par le bonheur. Ce devait être celui d’être sur scène…En tout cas, il était difficile de croire, pour quelqu’un comme moi, que ce beau danseur rayonnant se soit très récemment montré aussi abattu et porteur d’un lourd secret…
Pour le moment, seuls m’intéressait ce court ballet et la beauté des trois danseurs. Quand la lumière est tombée, ils étaient sortis de scène et la balle de tennis revenait au centre du cercle…Et ça pouvait recommencer, avec eux, avec d’autres…
Après tout, ça s’appelait « Jeux ».
Bon, ils sont venus saluer et ça a été une vraie sarabande.
Le visage d’Erik observé à la jumelle, je le gardais en tête. Cette belle expression radieuse du jeune homme qui cherche à assouvir son désir et, de toute façon, trouvera…
Là, on arrivait dans la vie. Sûr, il trouvait. Radieux comme il était…
J’ai jeté un coup d’œil vers la loge de Barney, qui justement, regardait dans ma direction et j’ai deviné qu’il était très fier de la prestation de danseur dont on parlait beaucoup et qui, suivant ses critères, lui appartenait. En même temps, il était très ému, j’en avais la certitude parce que ce même danseur passait un cap en interprétant un ballet dont, à priori au début, la compagnie ne voulait pas…
Les autres danseurs arrivaient sur scène pour saluer, puisque c’était le final, mais Erik, tout en blanc, restait au centre, rayonnant, saluant différemment des autres danseurs, un bras ramené vers son épaule droite…
Ça a duré et duré. J’ai de nouveau regardé vers la loge. Barney était debout et applaudissait en regardant la troupe en général et son danseur blond en particulier. De nouveau, il m’a décoché un regard très clair. Ça voulait dire…
-Maintenant, laisse…
Erik, lui, il regardait un peu tout le monde forcément et il remerciait, comme les autres d’ailleurs, pour les fleurs.
-Laisse…Tu vois, ça s’arrange plutôt bien. Je te verrai pour les gratifications…
J’ai pensé à Noureev au début, quand il était en tournée à Paris et que des gonzesses bien givrées lui lançaient des manteaux en vison, des roses avec des pièces d’or cousues à la tige, des lettres d’amour et aussi des culottes…Véridique…
Combien de personnes dans la salle étaient prêtes à lui lancer des trucs, à ce beau danseur si excitant dans son justaucorps clair ? A mon avis, il y avait du monde…C’était juste la bienséance qui corsetait les désirs.
-Merci pour tout. Il est à moi…Remarque, ça peut se comprendre. Un queutard, ça a ses limites…Il sait faire la différence…
Barney, il allait lui envoyer une gerbe de fleurs, des roses, des roses rose. Erik, il m’avait dit qu’il en recevait beaucoup, dans sa loge, à la fin des spectacles. Il arrivait qu’on lui en fasse parvenir chez lui et il en était heureux aussi. Fallait juste avoir son adresse personnelle.
L’idée des sous-vêtements, ça m’excitait mais je ne savais pas si c’était le meilleur choix. Parce ce que lui en lancer un, c’était risible.
Non, les fleurs, c’était plus sûr. Quand je rentrerai chez moi, j’y penserai et dès le lendemain, je ferai partir un grand bouquet de lys et de roses pour monsieur Erik Anderson, C/ o Riccardo Lopez etc. Les fleurs, elles arriveraient et elles retourneraient chez le fleuriste qui s’aplatirait pour s’excuser en disant qu’il ne comprenait pas. Y’avait rien à comprendre et je demandais aucun remboursement. Le petit paquet, il reviendrait aussi. Celui qui contenait un mouchoir qui avait l’odeur de ma semence car je m’étais fait jouir dedans. C’était un bel hommage qui n’aurait tout son sens quand, tout ému et excité, il ferait de lui la meilleure utilisation qui puisse se trouver et y ajouterait sa liqueur…Bon, encore mes délires, mais tristes cette fois.
Je ferais ça, c’était sûr. J’aurais juste un peu changé l’idée de départ. En attendant, je regardais Erik qui lui regardait tout le monde et personne. Ce devait être le dixième rappel…
Le laisser, non. Le thème du ballet, c’était le chiffre trois et Diaghilev, je l’avais lu, il avait le fantasme de faire l’amour avec de hommes plus jeunes que lui. Pour le chiffre, on était bon. Il y avait juste que Barney et moi, on était plus vieux qu’Erik. Sûr que je ne me voyais pas finir de l’embrasser pour laisser Julian B. prendre ma place mais à y bien regarder, ça ouvrait des perspectives très excitantes. On était deux hommes murs et expérimentés et sa sensualité à lui, on était l’un et l’autre bien placés pour l’estimer à sa juste valeur…
Maintenant, laisse…
Humm, Erik…Te laisser, non, bien sûr !
Bref. Il a fallu quitter tout cet émerveillement et rentrer. A la maison, Kristin m’attendait. Elle avait fumé cigarette sur cigarette. Elle avait pleuré, c’était clair.
-Il est jeune ?
-Houai…
-Tu vas me quitter et te mettre avec lui ?
-C’est une relation très forte. On s’adore vraiment. Je suis désolé.
-Merde, Clive, t’es pas désolé ! T’es content ! Tu ne m’aimes plus.
-Kristin, t’as fait un choix casse-gueule. Tu le savais pour les jeunes mecs…
Elle m’a balancé une gifle puis une autre.
-Mais tes discours à toi, dis, eh !
Elle a voulu savoir qui c’était et j’ai parlé d’un nouveau au bureau. Elle a hurlé et cassé plein de trucs dans la cuisine.
Elle n’a pas bien dormi. J'ai tenu à me rattraper :
- Je ne te quitterai pas. C'est une crise, une folie...
- Alors, fais ce qu'il faut et ne gâche pas tout !
Elle avait raison. Tout foutre en l'air, c'était insensé.
- Je vais être moins égoïste.
On s'est embrassés. Il fallait vraiment que je me remette en cause. Une femme comme ça !
Oui, mais voilà, j’avais beaucoup d’imagination. Erik, chez lui, il avait trouvé plein de fleurs et peut être que Barney l’avait aidé à retirer les messages qui y étaient adjoints. Vous savez, ceux qui sont dans de petites enveloppes…Faut faire gaffe car on se pique les doigts…
Il avait lu les messages. Il avait un sourire d’enfant. Ses belles lèvres qui se retroussaient…Il me suffisait de penser juste un instant que tout s’arrêtait entre nous pour me remettre à les désirer comme un fou. Sûr, un des messages était de moi et, une fois qu’il avait été seul, ça l’avait galvanisé. Chez lui, ça sentait délicieusement bon : tous ces lys et ces roses. Et j’apportai, moi, une odeur différente. Il le savait bien. Mon sperme, il me l’avait dit, n’était pas si sucré que cela et dans l’enveloppe, il avait bien retrouvé sa teneur. Au goût, c’était agréable et à l’odeur aussi. Il la reconnaissait bien. Bordel, rien que d’y penser, j’avais déjà joui, en m’aidant un peu, c’est vrai. Et j’espérais bien qu’il avait fait de même. Non mais, le désir !