Clive le Vengeur. Partie 3. Rencontre interdite chez Lopez.
J’ai blêmi et j’ai serré les dents. Erik devait penser que j’étais pris au piège mais lui, il était loin du compte… Barney l’avait prié de dégager son petit ami du moment en se gardant bien de lui dévoiler ses manœuvres. En termes clairs, le beau danseur ignorait qu’il voyait en cachette quelqu’un que son amant éconduit avait mis sur sa route et que le lieu de ses ébats réguliers avec « cette personne si différente », avait été choisi par ce même homme. C’était très habile car ça le contraignait, le joli jeune homme, à s’avouer qu’un compagnon aisé et en vue était préférable à un autre, plus obscur, avec lequel les étreintes charnelles étaient suffocantes. Après cela, il pouvait toujours jouer à celui qui n’est préoccupé que de son art…
Il était partagé, je le sentais car il ne se levait pas. Mon corps était proche du sien et il savait que je le désirais. Il a tenté une médiation :
-Ecoute, je ne veux pas te servir ce qu’on dit dans ces cas-là : ça a été très bien, je suis heureux de t’avoir rencontré, je garderai un bon souvenir. Je préfère être direct. C’est dur mais il faut arrêter…
-C’est à ton honneur mais alors, que me dis-tu vraiment ?
-On s’épuiserait. Ta vie, ma vie. Tu le sais.
-Bon, admettons. Sinon, ton ami, il n’est pas trop soupçonneux ?
-Si.
-Tu as un alibi pour cette après-midi ?
-Oui. J’ai un rendez-vous avec Adelia, une danseuse qui a quitté la troupe. Elle est colombienne. Elle a arrêté la danse et ne vit plus à New York. Elle est de passage. Je suis avec elle au Rockefeller Center. Julian a son numéro. Elle mentira.
-Et s’il se déplace ?
-Il ne le fera pas.
-Mais il peut penser que tu as cherché à me voir…
-Je suis supposé ne plus rien savoir de toi.
-D’accord. Tout va bien ?
-Oui.
-Parfait.
Cette fois, je me suis tourné vers lui et l’ai regardé droit dans les yeux. Je le voulais, c’était clair et même s’il essayait de bander ses forces, son corps se tendait vers le mien.
-On commence ici ou on va direct dans la chambre ?
-Clive, je crois que…
-T’as pas répondu.
-Je ne veux pas faire l’amour
-T’es sûr ? Pas moi…
Il s’est levé, est allé vers la fenêtre et me tournant le dos, a soupiré. Il était très incertain ; il suffisait de se rapprocher. Je le désirais avec une violence qui me stupéfiait et j’étais pressé de passer à l’acte. Je me suis collé contre lui, comme la première fois, et je lui ai parlé à l’oreille.
- Erik, c’est la dernière fois…
- Quel rôle joues-tu ?
- C’est toi qui arrêtes…
Il a renversé la tête en arrière, souri et a baissé sa garde. J’ai pu l’embrasser et je l’ai aidé à se mettre nu. J’ai partiellement retiré mes vêtements moi-aussi et on a commencé.
-Tu n’es plus si catégorique, Erik…
-Non.
Je l’ai pénétré. Il n’a plus rien dit et moi non plus.
Après la première étreinte, il a paru inquiet.
-Il faut qu’on soit prudent.
-Mais nous le sommes !
Cette fois, il a ri et moi-aussi. Quand nous nous sommes repris, il est allé de lui-même dans la chambre et s’est allongé sur le lit. Il a essayé de me parler de +Barney avec lequel il s’était montré difficile et égoïste. Il y avait cette histoire de pianiste mort, ça l’avait poursuivi et d’une certaine manière, il s’était vengé sur cet américain cultivé et plein aux as. Sagement allongé à côté de lui, je l’ai questionné :
-J’ai été odieux avec lui…
-Odieux, toi, Erik ?
-Je peux l’être.
-Qu’est-ce que tu lui as fait ?
-Je l'ai laissé tomber plusieurs fois. Je ne voulais plus.
-Son âge ?
-Oui mais pas seulement.
-Ben, tu n’es pas le seul à faire ça, non ?
Il m’a parlé des parents de Barney : un père riche et imbu de lui-même, une mère possessive que la maladie avait rattrapée. Et il a évoqué sa stature, son savoir, son sens de l’esthétisme. Il était clair qu’ils étaient liés l’un à l’autre mais que l’ambivalence dominait leurs relations. Ils se tourmentaient l’un l’autre.
- Tu écoutes ce que je te dis, Clive ?
- Oui.
- Et qu’est-ce que tu en penses ?
- Rien.
Je me suis redressé et l’ai regardé, cet Erik qui me rendait fou ; puis, je l’ai embrassé sur la bouche avant de caresser son membre au repos du revers de la main. Il en a frémi joliment, le danseur…
Allez, mon bien-joli…
-C’est important ce que je dis !
-Certainement. Continue.
-On a eu une liaison mouvementée…
-Et tu lui fais bouffer des ronds de chapeau mais il aime ça, tu aimes ça aussi…
-C’est impossible de t’expliquer quoi que ce soit…
Cette fois, il a tenté de se lever mais je l’en empêché. Je l’ai fait s’allonger de nouveau et mettre les mains en arrière. Puis, je me suis penché sur son entrejambe et j’ai léché, caressé du bout des lèvres, pris en bouche. Comme il commençait à gémir, j’ai glissé une main sous ses fesses, les lui ai écartées et j’ai cherché à le doigter. Un doigt pour commencer. Je le lui ai enfoncé sans difficulté. Après quoi, je l’ai repris en bouche. Il n’opposait pas de résistance et gémissait de plaisir. Je l’ai bien excité puis ai tout arrêté. Il avait un peu de mal à reprendre sa respiration normale.
-Explique, Erik. Je t’ai interrompu mais reprends-toi : je t’écoute.
Tes yeux, dans le plaisir qui monte comme ça, ils ont l’air plus foncé…
Il a continué : l’émulation artistique, les conseils donnés pour des rôles importants, les célébrités rencontrées…Ils étaient en rivalité à certains moments mais ils s’épaulaient à d’autres. Et puis, il comprenait : ils n’avaient pas le même âge. Leurs désirs ne pouvaient être les mêmes.
-D’accord.
-Tu ne me crois pas !
-On couche ensemble…
-C’est vrai.
-Mais, j’ai de l’estime pour lui ! Si t’as foutu le bordel chez lui en lui échappant régulièrement, c’est normal qu’il déprime un peu ; mais il est doué puisque tu lui revenu, hein, petit Erik ?
-Oui, c’est plutôt logique…
On s’est longuement étreint et quand tout s’est concrétisé, il a eu de très jolis gémissements avant de rester sur le lit, abandonné et en sueur. On est resté côte à côte un bon moment, un grand sentiment de plénitude nous emplissant. Je savais clairement que notre relation prenait fin ; ça m’assombrissait mais paradoxalement, ça me libérait. D’ailleurs, quand il a repris la parole, il me l’a dit.
-Clive, il faut que ça s’arrête. Si notre liaison prend fin maintenant, tu ne mettras pas ton mariage en l’air, car c’est bien ce qui se passera si on continue malgré tout.
C’était exact. Kristin ne me reconnaissait plus. La situation devenait intenable.
-C’est bien observé. Kristin me trouve très changé. Elle a flairé que j’avais une liaison et ne le supporte pas. Il faut la comprendre, que je sois attiré par une femme, elle peut le gérer mais elle ne peut rien contre un homme jeune et beau. On risque de se séparer.
-Non, ne faites pas ça.
Sûr que si je continuais sur ma lancée, ma femme serait nette dans ses cassures et s’écarterait de moi, mettant un terme à vingt ans de mariage ; et Carolyn serait éclaboussée. C’était elle, d’ailleurs, qui pouvait comprendre le plus sûrement mon revirement subit.
-On ne le fera pas.
Quand j’ai dit ça, j’ai su que je mentais. C’était déjà foutu, on allait se séparer, là. Notre fille terminerait sa formation de danseuse et elle quitterait certainement New York pour un engagement ou un autre. Sa carrière commencerait, sa souffrance s’atténuerait.
- C’est bien.
- Et toi, tu vas retrouver ton ami, c’est bien aussi.
J’étais amer tout d’un coup et si triste.
-Clive ?
-Ça a tout changé…de t’avoir rencontré, je veux dire…Sur ma situation à venir, je viens de te raconter des salades, je ne suis pas optimiste. Je suis allé trop loin : on va divorcer. Je ne peux pas contrer l’amour que j’ai pour toi.
Cette fois, il m’a jeté un regard inquiet.
-Je sais que ce n’est pas à propos Clive, mais ça ne change rien.
-Si. Il te laissera certaines libertés et tu verras, ce sera bien. Tu es comme moi ; tu es partagé. Je crois qu’on peut bien s’accorder. On a des natures difficiles et antinomiques mais ça ira. Qu’est-ce que tu en penses ?
-Tu n’es pas juste « Clive », c’est sûr mais on se voit pour se dire au revoir.
-Tu peux comprendre que me retirer du jeu…
Il m’embrasait complètement, il me rendait fou mais on était quoi qu’on en dise dans une situation illicite. Ce ne serait peut-être pas très grave pour lui d’expliquer à son amant soupçonneux qu’il lui avait déjà désobéi en me revoyant. On trouverait un truc. L’autre tiendrait sa langue. Erik, qui n’avait aucune idée de ce qui s’était tramé, s’est détourné. Il ne savait plus où il en était. Une mélancolie profonde s’est emparée de lui.
-Je ne sais plus où j’en suis.
-Je trouverai un autre lieu. Et on continuera de se voir.
Il n'a rien rétorqué. Il s’en est suivi un bref silence puis il a de nouveau regardé mon corps allongé. Ce n’était pas du désir mais plutôt l’expression d’une vraie tendresse. Il s’est collé contre moi, son visage dans le creux de mon épaule. Il était tendre mais ne pliait pas.
-Je ne peux pas, Clive.
Et puis, il s’est levé, est allé se doucher et est revenu dans la chambre pour me saluer. Ses vêtements, comme les miens d’ailleurs, étaient restés dans le salon. Il s’est rhabillé et moi-aussi. Il avait l’air plutôt dégagé. Il devait vouloir partir assez vite. Moi, je restais indécis : le supplier ne donnerait rien ; revenir à la charge plus tard peut être ? J’avais la tête pleine de pensées mais tout d’un coup, je me suis raidi. Jusqu’à maintenant, Erik était toujours persuadé qu’il m’avait rencontré par hasard. Mais si par hasard Barney s’était avisé de se rendre au Rockefeller Center et de s’étonner de n’y retrouver ni son danseur ni la ballerine ? Ou bien s’il était irrité que le téléphone d’Erik soit toujours sur répondeur…Leur réconciliation était effective, le décorateur s’en était vanté mais ils s’étaient peut-être déjà disputés, rendant l’amant, qui estimait avoir remporté la mise, de nouveau soupçonneux. Non de non ! Si j’avais été plus malin, je n’aurais jamais accepté de revenir chez Lopez ! Je pouvais en mettre ma main à couper : il nous cherchait. J’ai pris un ton dégagé et m’approchant d’Erik, je lui ai caressé doucement la joue.
-Eh bien, au revoir.
Il a eu l’air surpris. Je me reprenais bien vite.
- Au revoir, Clive. J’espère que tu reviendras me voir danser.
- Naturellement. Nous partons ?
Cette fois, il a froncé les sourcils.
- C’est bien que tu le prennes calmement.
- Oui, n’est-ce pas ?
- Ne restons pas ici.