Clive le Vengeur. Partie 3. Jeux, un ballet méconnu de Nijinsky.
Jeux, c’était un ballet de Nijinsky qui était passé à la trappe. Il n’avait pu faire ce qu’il voulait tant il était pressuré, à cette époque, l’incomparable danseur russe. Danseur phare d’une troupe jugée hautement exotique et très admirée pour sa variété et ses audaces, il subissait une énorme pression de la part de Diaghilev et de ses acolytes. L’idée était que tout en restant « le » danseur-vedette, il soit aussi le chorégraphe principal. Quand on sait à quel point, l’orgueilleux imprésario tenait à la programmation de chacune des saisons des Ballets russes, la tâche était énorme et c’était du jamais vu. Fokine avait régné sur le corps de ballet avec d’autres chorégraphes. Nijinsky devait tout faire tout seul. Il avait vingt-quatre ans. On le pressurait de toute part. Il croyait à Jeux auquel, très rapidement, plus personne n’avait cru et qui, au final, avait déplu. Dans le même temps, le jeune danseur faisait jaillir Le Sacre du printemps qui avait causé des émeutes ici et là. La vérité c’est que Diaghilev avait aimé le scandale causé par le ballet de son protégé et la musique de Stravinsky. Les débats avaient été animés et l’imprésario en avait été heureux. Il adorait les polémiques qui le mettaient au centre de l’intérêt général. Les autres l’indifféraient. Seulement, le Sacre, si on regardait la programmation des Ballets russes sur des années, y compris après la guerre quand devenus Ballets russes de Monte-Carlo avec Serge Lifar, il n’avait pas été présenté tant que ça…A croire que cette chorégraphie incroyablement nouvelle posait plus de problème au maître qu’elle ne lui apportait de satisfaction…
Quant à Jeux, Erik m’avait dit que les notes de Nijinsky avaient été perdues. Il avait été rejeté d’emblée, son court ballet, et dans la tourmente qu’avait été sa vie, après son éviction des ballets russes, il n’y avait plus songé…
Et pourtant.
Le décor nocturne suggérait un parc, bien que tout soit stylisé. Une balle arrivait au milieu de la scène, une balle de tennis et un jeune homme, puis deux jeunes filles, habillés comme pour pratiquer ce sport, entraient et sortaient, se poursuivaient pour s’écarter et s’écartaient pour se poursuivre. On devinait que le jeune joueur de tennis tentait sa chance avec une danseuse puis une autre dans l’espoir de faire l’amour avec l’une d’elle. Mais on devinait aussi que les jeunes femmes étaient attirées l’une par l’autre. C’était une ronde amoureuse et sexuelle et il ressortait que quelque part dans les buissons du parc, un peu plus tard, ces trois-là étreindraient une des personnes présentes sinon deux ou se seraient dirigés vers d’autres partenaires. En attendant, ils flirtaient et le jeune homme finissait par les embrasser l’une et l’autre…
Moi, indépendamment de ce que le thème du ballet faisait naître en moi, je trouvais l’idée de ce chiffre trois dans un ballet captivante car elle faisait obstacle aux célèbres duos, aux pas de deux…Là, les trajectoires étaient nouvelles. Le cercle était omniprésent. Pendant tout le temps de la séduction, ils se maintenant à l’intérieur de ce cercle, les trois jeunes gens qui se cherchaient puis, une fois vécue la plénitude de la satisfaction sensuelle, ils en sortaient…Il y avait des lignes géométriques sur le sol et bien sûr, le fameux cercle. Les lumières changeaient sans jamais être violents. Les trois danseurs étaient en blanc. Les filles n’avaient pas vingt-cinq ans…