Clive le Vengeur. Partie 2. Erik et Clive. Ecoute et tendresse.
Relax, il avait l’air de l’être et il rigolait de plus en plus quand il me voyait. Il me parlait français et évoquait sa mère et puis danois et il imitait son père. Pour son père, je sentais que ça coinçait un peu. Il lui en voulait de ne pas suivre sa carrière, de ne pas prendre des avions pour venir l’applaudir…Sa mère, au contraire, c’était l’adoration. Elle, était déjà venue le voir à New York (Barney l’avait invité à bouffer au Four Seasons, j’en aurais donné ma main à couper, et il avait sorti pour l’occasion son français approximatif et lui, mon danseur joli-joli, il avait ri de ses tentatives…) et tout s’était très bien passé.
Quand même son père, il n’avait jamais rechigné à payer les cours de ce fils surprenant et ses stages. Je lui ai fait remarquer, à Erik. Peut-être qu’il avait le droit d’être un peu décontenancé…Ce n’était pas toujours facile. Moi quand, ado, je sortais sans arrêt en douce et que mes parents « super ouverts » en avaient eu l’intuition, ça leur en avait foutu un coup. L’éducation rigoriste que j’étais supposé recevoir, elle en prenait un coup. Ben, pour son père, c’était peut-être un genre comme ça. C’était un mec qui venait d’un milieu très simple ; alors un fils danseur classique (et d’une), très doué et promis à une carrière internationale (et de deux) et bisexuel (et de trois), ne fallait pas non plus…
Il a acquiescé, mon superbe danseur, pis comme je voyais que ça le chavirait un peu, j’ai arrêté tout de suite.
Je l’ai pris dans mes bras et pour atténuer ce que je lui avais dit ce jour-là, je lui ai parlé de son teint. Oui, son teint clair. Le changement était très perceptible : il était beaucoup lumineux. C’était mon foutre et ses propriétés spécifiques…Comme il en avalait régulièrement, il en voyait les bienfaits…
Il a pouffé de rire.
Quand on est arrivé en décembre, il m’avait dit plein de trucs. Je pouvais reconstituer sa carrière ! Il se souciait de Carolyn qui bouffait des ronds de chapeau dans son école de danse au niveau élevé. De temps en temps, il l’appelait. Il ne fallait pas qu’elle lâche. La danse classique, ça ne fait pas de cadeau. Il était bien placé pour le dire.
Entre deux séances de voltige aérienne dans des draps aux couleurs désormais normales (j’avais fini par aller en acheter), il m’a parlé du spectacle dans lequel il allait paraître. C’était un hommage au ballet russe et il y danserait, Le Spectre de la rose, l’Après-midi d’un faune et Jeux. Pour ce dernier ballet, il avait dû insister mais insister…On considérait que Nijinsky l’avait chorégraphié trop vite, ce qui, de son point de vue, était une aberration. En tout cas, il était fier de le danser. Il y aurait, pour finir la soirée, un ballet de Fokine où ce même Nijinsky, cette fois danseur, avait, en son temps, particulièrement brillé mais j’en ai tout de suite oublié le nom.
Il travaillait comme un dingue et ce spectacle le rendait fébrile. Tout y serait magnifique. Bien sûr, je viendrais.
Et Barney aussi…Il avait peut-être fait les décors et les costumes va savoir. Et pour les costumes, il avait en personne supervisé les essayages du beau danseur qui avait les premiers rôles…Quand même, fallait vérifier que le maillot moulant du jeune spectre tout rose et enturbanné serrait pas trop à l’entrejambe…Hélas, si, ne bouge pas Erik, j’arrange ça tout de suite…je lâche une couture…Tu te sens mieux chéri ? Je reste à genoux ou je me relève…
Oui, j’irais le voir mais il ne fallait pas qu’il donne aussi des billets pour ma femme et ma fille. De telles libéralités leur paraitraient bizarres. Juste comme je lui rappelais un peu l’existence de ce décorateur pour savoir où ça en était et qu’il demeurait évasif, le voilà qui a réoccupé le devant de la scène, l’incomparable Julian B.
Lui et moi, on « textotait » depuis quelques temps, pardon, on s’envoyait des texto…. Ben oui, les temps changent…Il vérifiait que ça suivait son cours et se montrait ravi de la façon dont Erik me faisait confiance. Ça roulait, en somme, mais jusqu’à quand ?