Clive le Vengeur. Partie 4. Chercher et trouver.
Quelques jours plus tard, je suis reparti à New York. Le premier soir, je n’ai vu personne lui ressemblant mais le lendemain, c’était une belle après-midi de printemps et il est apparu. Il y avait une belle lumière printanière dans cette partie de la cinquième avenue que j’arpentais (la plus chic) pour la nième fois depuis des mois. Il sortait de chez Hugo Boss et il était seul. Moi, comme un imbécile, je regardais par terre et je pestais contre une mauvaise fortune qui me ferait rentrer chez moi bredouille, une fois de plus. Il devait être à vingt mètres de moi, se tenait très droit et il me regardait. Il calculait vite dans sa tête. Il me reconnaissait. Moi, j’ai juste senti que quelqu’un m’observait et tout d’un coup, il m’est venu une légèreté incroyable, comme si toute la culpabilité qui était en moi allait s’enfuyant. J’ai regardé plusieurs personnes dans la foule avant de croiser son regard et là, l’espace d’un instant, je n’ai plus respiré.
Non de non ! Enfin, enfin ! Vraiment, c’était de haute lutte mais tu es là ! Erik ! Erik !
Il s’est approché de moi.
-Clive ? Clive Dorwell ?
Il n’était pas très sûr encore. Beauté intacte.
-C’est bien vous, n’est-ce pas ?
J’ai commencé par balbutier avant de me reprendre.
-Oui, je…c’est moi. Eh bien, Erik, ça fait vraiment longtemps !
Il avait l’air très surpris mais il souriait légèrement comme si cette soudaine rencontre ne lui pesait pas.
-Oui, ça doit faire quatre ans. C’est curieux comme coïncidence !
-Ah oui ?
-Je pensais à vous, à toi ces derniers temps…
Tu pensais à moi ? C’était sans doute anecdotique tandis que moi, moi ! Eh ben dis donc, t’as pas enlaidi ! C’est même pire qu’avant, on dirait bien…
-Ah, ben, ça ne fait pas des très bons souvenirs, non ?
-Oui, c’est certain. En même temps, ce n’était pas une période très simple…Mais quelquefois, on se retourne et on fait ses comptes.
-Je ne sais pas trop…
-J’imagine…Est-ce que tu as envie de parler ?
Parler, c’est sûr mais euh, sous ton léger manteau, il y a ton beau corps nerveux, si bien entretenu par toute cette discipline que la danse t’impose et sans vouloir te manquer de respect, ça va être très difficile. Pardon, pardon, c’est toi tout entier que je retrouve et l’émotion qui me submerge, elle a bien un nom. Oh, Erik, encore une fois, pardon…Te voir comme ça, si bien vêtu, tout en gris et en bleu foncé…Tu te tiens bien droit ma petite sentinelle du passé…Ma belle enluminure.
-Eh bien, vu ce qu’il y a eu, je suis vraiment surpris que tu me le proposes et je t’avoue que ça me ferait un bien immense.
-A moi aussi. Là, je ne peux pas rester mais on peut échanger nos numéros de téléphone et convenir d’un rendez-vous…
-Crois moi, ça me touche beaucoup que tu me proposes ça mais tu sais, il ne faut surtout pas que ça t’oblige à quoi que ce soit.
Il a souri.
-Pourquoi est-ce que ça m’obligerait ? Je pouvais t’éviter…
Je ne suis plus contrôlé et j’ai dit vite et mal :
-Il y a des mois et des mois que je te cherche partout où tu pourrais aller…Je suis aux aguets. Je viens souvent à Manhattan. Je change de quartier. Je dors sur place. Des heures durant, je marche et je guette …Je ne peux pas m’arrêter de le faire. Si aujourd’hui, je ne m’étais pas trouvé face à toi, j’aurais recommencé encore et encore…
Il a paru stupéfait :
-Tu parcours la ville…pour me voir…
-Oui.
-Chez moi, c’est à Montréal.
-Je sais.
-Et tu marches quand même ?
-Oui.
-Mais pourquoi, Clive ?
-Parce qu’il fallait que je te retrouve. Je n’aurais jamais plus eu de repos si je ne l’avais pas fait.
De nouveau, il a paru impressionné.
-Je suis ici pour quelques jours et il y a longtemps que je ne suis pas venu. Je voulais revoir des amis et renouer avec cette ville que j’ai aimée. Je suis également sur un projet de film documentaire sur la danse classique et j’ai des rendez-vous. Mais, et toi ?
-Je vis à Newark maintenant. C’est là d’où je viens. J’y suis retourné.
Il a froncé les sourcils :
-Ah ? Tu n’es plus dans le Bronx ? Dis donc, Newark, c’est loin d’ici.
-Je te l’ai dit, je dors sur place.
-Ce soir ?
-Oui. Un hôtel près de l’embarcadère pour la statue de la liberté. C’est confortable. Il y a un bar.
Il a hoché la tête. Je le sentais à la fois flatté et incrédule mais je ne voyais en lui aucune agressivité. Le passage du temps avait-il à ce point atténué sa rancune et sa souffrance où m’étais-je illusionné sur celles-ci ?
-Moi aussi, je suis dans un hôtel ce soir…Mais pas le même.
-Ça fait quatre ans, comme tu l’as dit. Je peux encore t’attendre. Je ne fais plus trop mes comptes, les semaines filent…
Il est revenu sur ce que j’avais dit.
-Tu continuerais de m’attendre…
-Oui. Peut-être que là, tu veux juste me parler comme ça, parce que tu es surpris. Ça te remue juste un peu mais tu vas filer. Si tu ne réapparaissais pas tout à l’heure, je t’attendrais de nouveau, je marcherais. Tu finirais par te retrouver face à moi. Il le faut.
Il a soupiré et j’ai senti que le touchais. J’étais grave et mélancolique. Il m’a demandé le nom de mon hôtel et a dit qu’il m’attendrait au bar en fin d’après-midi. Il avait un diner de prévu mais il irait plus tard ou le reporterait.
Quand il est parti, j’ai eu peur un moment. Pourquoi viendrait-il ? Puis, j’ai compris qu’il le ferait et il l’a fait.