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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
16 octobre 2024

Clive le Vengeur. Partie 3. Clive en mouvement. Renouer avec Barney.

 

Kirsten, elle était plus terre à terre. Elle continuait à parler à Barney d’une conférence éventuelle dans sa librairie et il a fini par arrêter une date. Il viendrait donc en personne. Elle était folle de joie. Sa librairie, elle en a fait un tourbillon, repeignant les rayonnages, réorganisant l’espace, remplaçant les fleurs coupées par des plantes vertes et les affiches par des encadrements de photos d’écrivains. Pour la composition de l’affiche et les cartons d’invitation, elle m’a demandé conseil. Pour l’affiche, on a fait un montage d’opéras sur lesquels il avait travaillé en choisissant ceux où il avait proposé plusieurs versions. Pour les invitations, on a choisi un bristol simple. C’était « entrée libre » comme elle faisait toujours mais elle voulait privilégier les bons clients et hommes de goûts (ou femmes…). On a diffusé l’annonce de la soirée dans la presse locale et à la radio du coin. Le soir dit, elle a frôlé le malaise. Tout ce monde-là n’entrerait jamais dans la petite salle du haut…Il a fallu limiter les entrées mais quand même, ça débordait de tous les côtés…

Julian B. avait changé physiquement. Il était moins massif et de visage, plus émacié. Pour le reste, il avait toujours beaucoup de prestance et dès qu’il ouvrait la bouche, son intelligence scintillait. Il a d’abord parlé avec Kirsten dont il a aimé la librairie puis à l’étage, il s’est installé devant un parterre de gens qui, sans être friqués, aimaient les arts, particulièrement l’art lyrique. Ils n’allaient peut-être pas souvent au Met. Mais ils écoutaient des airs d’opéra et étaient assez connaisseurs pour savoir de quoi il parlerait. Il y avait aussi des étudiants et ça, ça lui a plu. Il y avait même quatre ou cinq enfants d’une dizaine d’années qui, invités par la libraire, étaient sérieux comme des papes. Elle était persuadée que plus on est formé jeune aux arts, plus on y est sensible pour le reste de sa vie.

M’est avis que mes vieux auraient dû rencontrer tôt dans leurs vies une femme comme elle. Ils auraient moins regardé n’importe quoi à la télévision et ils se seraient moins posés de questions idiotes, du type : « eh dis donc, le prénom de London, c’était Mark ou Jack ?  Qui ça ? London, le gars qu’a écrit sur les loups, là…Y’a une question sur lui et je pourrais gagner vingt dollars. Sûr ? C’est Mark ? J’appelle le standard. »

Bref, l’invité magnifique, il savait parler et il nous a émerveillés. Vrai de vrai. Une émotion, une tension en nous…Il a fait naître tout cela en parlant de la naissance de l’opéra et des grands compositeurs qui, de par le monde, avaient permis de le faire vivre ! Il a bien sûr évoqué son modeste apport en tant que costumier et décorateur mais il a surtout parlé des chanteurs. L’opéra, c’est la place faite à ces voix magiques, capables de tout dire de l’âme humaine. Il a dit son honneur d’avoir travaillé avec de très grands interprètes et la magie qu’il y avait à les voir préparer un spectacle. Observer en répétition le travail d’une cantatrice, d’un metteur en scène et d’un chef d’orchestre, ça avait été pour lui dès le départ une extraordinaire leçon d’humilité et ça le restait. Mais voir le produit fini, ça le galvanisait aussi, surtout quand il découvrait que ses décors et ses costumes contribuaient à créer un spectacle total. Dans ces cas-là, l’osmose qui reliait ceux qui étaient sur scène avec les spectateurs était si intense qu’il en était empli de bonheur. Il lui était malheureusement arrivé de n’être pas aussi bien inspiré et il s’en voulait beaucoup. De ce fait, il était perfectionniste…

Les murs de la petite salle étaient tapissés de photos des spectacles auxquelles il avait collaboré mais cela ne donnait de son talent qu’une image insuffisante. En accord avec Kirsten, il avait exposé les dessins qu’il avait réalisés pour les quatre personnages principaux de l’opéra. Il nous a donc montré les variantes qu’il avait imaginées pour les costumes de Cio-Cio San, du lieutenant Pinkerton, de Goro et du prince Yamadori, les personnages principaux de Madame Butterfly.  Pour finir, il a projeté quelques extraits du spectacle. Les costumes dont nous avions vu une présentation figée ont tout de suite pris vie. Pinkerton, l’Américain était sobrement vêtu tandis que sur les autres personnages éclatait la beauté des costumes traditionnels japonais. Ainsi présenté, le travail de Barney paraissait aussi brillant que de longue haleine. Il suscitait une admiration totale. Il y avait aussi un petit film personnel où on le voyait faire faire des essayages à la cantatrice. Pas très grande, mince et hiératique, celle qui figurait l’héroïne principale échangeait avec lui avec naturel tandis que s’effectuait sa transformation en Madame Butterfly. C’était vraiment une réussite, cette soirée, une vraie plongée dans un univers exigent et raffiné. Les applaudissements ont crépité avant que les questions ne fusent…

Pendant tout ce temps, je suis resté au fond, ne voulant pas faire de l’ombre à mon amie libraire, qui était si heureuse. Je n’ai pas posé de question, je n’ai pas fixé Barney et je n’ai pas cherché à attirer son attention.

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