Clive le Vengeur. Partie 3. Librairie de Kirsten. Barney donne une conférence.
Pourtant, à la fin, il s’est approché de moi.
-Vous avez été très discret, monsieur Dorwell.
-C’était mieux, je crois.
-Oui, c’est sa librairie; ce sont ses clients aussi et souvent aussi ses amis. Elle fait très bien son travail. Que vous soyez venu et que vous ayez parlé ainsi va lui permettre d’être bien plus réputée !
-Je l’espère. En tout cas, content que vous soyez venu ! Dites-moi, votre restaurant s’appelle bien « Newark Follies » ? C’est une sorte de café-théâtre ?
-En janvier, il sera fermé pour travaux. En fait, on s’agrandit et le décor change. Ce sera toujours une salle de spectacle mais la restauration y sera assurée de façon différente. Maintenant, ce sera noir, blanc et or. Bien plus théâtral, bien plus artiste. J’ai déjà la programmation pour l’année.
-Oh, j’ignorais cela ! Et quel sera le nom de cette salle de spectacle ?
-Le même.
-Vous pourriez chercher à faire mieux.
-Entrechats 8, ça me plairait mais personne ne comprendrait…
-Sauf vous et moi.
-Voilà.
Il m’a regardé et m’a fait un léger signe de tête approbateur, sans pour autant me questionner davantage. Le nom d’Erik n’avait pas été prononcé et il avait compris que je ne lui parlerais pas de lui. Cependant, l’allusion était claire.
Kirsten tenait, vu le succès de la soirée, à ce que nous prenions des « rafraichissements » et elle nous a servi toutes sortes de thés, du café, des jus de fruits et même du champagne californien. Ses amies et elle avaient fabriqué des gâteaux pour un régiment. On leur a fait honneur, malgré tout.
Ce qui m’a étonné chez mon amie c’est qu’elle admire inconditionnellement un homme sur lequel elle avait tout de même appris qu’il pouvait très mal agir. Seulement, faite comme elle était, Kirsten, elle n’aborderait ce sujet avec moi. Même pas la peine d’essayer…
En partant, je me suis aperçu que Barney avait accordé peu de place à un homme entre deux âges qui, pourtant, était venu avec lui. C’était en fait son compagnon mais je ne l’ai compris que par ricochets. « Paul », puisque c’était son prénom avait très certainement fait une bonne école d’art et il était aussi discret que cultivé. Mais physiquement…enfin…C’est sûr que mieux valait pour lui qu’il ne se trouve pas face au danseur que Barney avait tellement aimé. La comparaison n’aurait pas été à son avantage.
A l’issue de cette présentation, j’ai dîné de nouveau avec Kirsten. Elle s’obstinait à rester seule et je trouvais cela vraiment dommage.
-Regarde dans le public, il y avait des hommes de ton âge, présentant bien et cultivés.
-Je suis toujours mariée dans ma tête.
-Mais lui, non ! Enfin quoi, ça te dérangerait un homme qui te plaise et qui déambule en slip un dimanche matin pour te préparer un petit déjeuner comme tu les aimes et te l’apporter au lit ?
-Clive, mais enfin !
-D’accord, en pyjama.
-Non.
-Tu n’as pas raison.
-Toi, pour Kathleen, tu as fait un bon choix.
-Elle est sympathique.
-C’est tout.
-Bon d’accord : elle est très bien.
Elle m’a regardé et je suis resté silencieux deux secondes de trop. Elle a paru sidérée.
-Clive, ne me dis pas que tu as des idées en tête !
-Mais non, j’apprécie beaucoup cette femme.
-Quand tu es sincère, je sais que tu l’es. Mais là, je trouve que tu te promènes beaucoup…
-Je me promène dans Manhattan. Chaque semaine, je m’y rends. Je change de quartier et d’hôtel.
Elle a sursauté.
-Ne me dis pas que c’est lié à ce danseur …
Je suis resté silencieux. Elle a soupiré.
-Evidemment si. Il ne t’est pas sorti de la tête ! Tu sais bien qu’il n’est plus à New York !
-Non, c’est vrai et ça fait déjà longtemps. Par contre, il ne travaille plus en Allemagne.
-Tu as vérifié ?
-Il est à Montréal. Compagnie de danse.
Elle a hoché la tête. Je déraisonnais. Elle avait raison. Et à mon avis, Barney, il devait débloquer aussi, parce que le fait qu’Erik soit de nouveau en Amérique du nord, il ne pouvait l’ignorer…
-Promets-moi que tu ne vas faire d’âneries, Clive !
-Oh, promettre.
-Tu le cherches ! Tu l’attends !
-Kirsten, ne sois pas si morale.
Elle avait l’air peiné. Je l’ai embrassé sur la joue et lui ai dit de ne pas avoir peur. J’étais un homme fait, pas un petit garçon…