Clive le Vengeur. Partie 3. Kirsten et Clive. Confidences douloureuses.
5. Entretien avec Kirsten.
Clive, qui a retrouvé à Newark son ami Kirsten, lui fait soudain d'étranges confidences. Son histoire avec Barney et le danseur est dite.
Elle m’a invité à dîner. Nous étions seuls cette fois. Elle avait fait de la viande rouge, car je l’adore et avec cela, des pommes de terre au four et des légumes craquants. Il y avait du vin et même si elle en buvait peu, elle avait posé une bouteille sur la table pour moi parce que c’était plus stylé que la bière pour un repas. J’ai attendu, pour parler, que nous nous soyons installés face à face dans des fauteuils. Son appartement respirait la propreté et la paix. Elle était vraiment quelqu’un de sain. Elle m’avait servi un café long, sachant que je supportais bien d’en boire le soir et elle a pris pour elle-même une infusion aux odeurs parfumées qui évoquaient, à ses dire, le sud de la France.
J’ai parlé.
Elle ne m’a jamais coupé la parole.
Je croyais la regarder mais je ne le faisais pas vraiment car à la fin de ma longue prise de parole, j’ai vu qu’elle retenait ses larmes.
Elle avait fini sa tisane et elle regardait ses mains très blanches posées sur ses genoux, maintenant que j’avais pris conscience de son émotion.
-As-tu conscience de la cruauté dont vous avez usé avec ce jeune homme ?
-Le décorateur était cruel…
-Et toi, non ? Tout de même, il y a pari et pari. Enfin, Clive…
-Il ne s’est jamais dérobé. Lui, le jeune danseur !
-Pourquoi l’aurait-il fait au départ ? C’était des moments volés à un présent difficile pour lui.
-Il lui en faisait voir de toutes les couleurs à …à lui…
-Ce devait être réciproque. Les Heureux et les Damnés…Les cercles de la passion si souvent décrits…Tu n’avais pas à t’en mêler.
-Cette annonce…J’ai réussi à attirer l’attention de qui l’avait rédigée.
-Et ça t’a suffi?
-Je suis un peu tordu. Oui.
-Admettons. Donc, il t’a montré une photo de lui ?
-Non, il m’a dit d’aller le voir danser. Il m’a procuré une place. C’était plus efficace…
-Oui, c’était très astucieux.
-Barney s’est montré très habile. Je ne pouvais pas vérifier si ce qu’il me disait était vrai ou faux mais j’ai gagné de temps. Ce jeune homme était une proie si belle ; c’était si bon de jouer encore et encore avec elle. Le fait qu’il ne sache rien, qu’il vienne me voir en toute naïveté…
-Donc tu n’as rien dit…
-Non.
-L’argent, c’était vraiment un mobile ?
-Je dois reconnaître qu’il est tombé à point nommé.
-Y compris de sa part à lui, lui que tu avais si mal traité…
-Oui.
-L’argent l’emportait sur le sexe ?
-Non. Ce qui me reste, c’est le sexe : le dominer comme ça, m’emparer de lui, lui faire faire tous ces parcours de plaisir…
-Quelle relation véritable avais-tu avec lui ?
-Celle-là.
-Mais les endroits où tu le voyais étaient si anonymes ! Il s’agissait d’un hôtel où on pouvait louer une chambre à l’heure. On n’y vérifie pas vraiment l’identité de ceux qui y viennent du moment qu’ils paient d’avance ; et ensuite d’un appartement au propriétaire fictif dont le nom n’était pas sur la boite aux lettres. C’est comme si vous n’existiez pas !
-Les lieux ne comptent pas.
-Ni le nom des gens ? Ou leurs surnoms ?
-Quoi?
-Pour lui, tu étais un Clive Dorwell à la conjugalité un peu hasardeuse mais tu étais un homme simple et droit. Ton nom n’avait aucune relation avec celui de Barney et il n’a sans doute jamais imaginé que ça puisse être le cas. Pour cet homme avec qui il avait une relation compliquée, tu n’étais personne. Or, vous lui avez montré qu’il se trompait. Tu voulais être le champion d’un « Offensé » et tu t’es transformé en « Offenseur ».
-C’était un jeu…
-Dans lequel tu es devenu « Clive le Vengeur » avec tout ce que ça comportait : le mensonge, le rejet de ce que tu es au fond de toi-même et la domination sexuelle…
Je me suis tu. Erik venait de m’apparaître comme il était la dernière fois : appuyé contre un mur, le regard perdu, dur et froid.