Clive le Vengeur. Partie 4. Tu es séduisant, Clive.
J’ai passé commande et on a attendu. Il n’avait pas l’air pressé du tout, ce qui me stupéfiait. Il était supposé aller à un dîner avant de rejoindre son hôtel.
-Comment est Kathleen ?
-Gourmande. Elle adore la tarte aux pécans.
-Et sinon ?
-Affectueuse. Elle est comme une petite fille rieuse, contente de vivre. J’aime sa vitalité. Kristin, mon ex-femme, n’était pas naïve du tout. On s’était connus jeunes. Pour les mecs, elle savait et ça lui faisait peur. J’avais des aventures et je pensais que je contrôlais bien. Mais il y a eu cette maudite annonce et…Toi. Ça lui en foutu un coup. Je ne voudrais jamais refaire un truc pareil. Et Kathleen, elle n’est pas tellement armée, tu vois…
-Contre quoi ?
-Ben, Erik, elle n’a vraiment aucune idée de…En fin qu’il m’arrive de…
Ça a eu l’air de l’amuser et il m’a lancé un regard malicieux.
-De ?
-Les jeunes mecs…Tu vois ?
-Très bien.
-Euh et toi ?
-J’aime le Canada. Le corps de ballet, c’est une ambiance très différente. Je supporte encore parfois les caprices de chorégraphes à la mode mais je travaille avec d’autres, qui sont solides. Sinon, j’ai toujours peur de ne pas être assez adroit, assez doué, assez aérien comme danseur et je sais qu’on fronce les sourcils quand je dis ça. Je vais certainement monter mes propres créations. J’ai des idées mais je les laisse mûrir. A Hambourg, John Neumeier, l’Américain du Milwaukee m’a dit que j’étais précieux pour la danse. Alors, je l’écoute et j’ai des projets plein la tête.
-D’accord. Et cette femme ?
-Je te l’ai dit. Je m’appuie sur elle. Et comme je te connais bien, je m’appuie aussi sur un canadien qui s’appelle Simon Leforestier ; ça t’ira ? Je précise qu’il n’est pas bucheron.
-Ah, tu me rassures !
Cette fois, on a ri tous les deux.
- Il est quoi ?
-Journaliste, homme de théâtre…
- Une relation qui…
- J’ai terminé, Clive.
Le vin est arrivé mais j’ai décliné. Il m’a coincé.
-Tu n’en veux pas ?
-Je ne préfère pas.
Son regard en disait long. Je le désirais physiquement et ne voulais pas perdre mes moyens, il l’avait deviné.
-Ça ira, Clive, tu sais.
J’ai soutenu son regard. Hum… Ça irait forcement.
-Tu vas tourner dans un film ?
-Oui. Le tournage durera six semaines. Il commencera début mai. Dans deux mois, à peu près.
-Un film sur les danseurs. Nous serons plusieurs. Mon rôle n’est pas énorme.
Le vin qu’il ingurgitait faisait son effet. Il me paraissait plus alangui et lentement mais sûrement, il a commencé à me provoquer…
-Tu t’habilles bien…
-Tu veux dire, mieux qu’avant…
-Oui et tu présentes mieux…
Moi, depuis mon régime et mon virage vers le sport, je faisais beaucoup plus attention à ma mise. Pendant des années, j’avais tapé dans le costume basique de l’assureur qui veut paraitre de confiance mais désormais, je possédais une salle de spectacle qui offrait aussi des repas. Je présentais donc bien. Là, j’avais un pull noir ras du cou assez ajusté avec un jeans de marque, de belles chaussures italiennes et un blouson en cuir comme je n’aurais pas osé en acheter avant. J’étais bien mieux foutu qu’avant et j’avais appris à respecter certaines règles : une bonne coupe de cheveux, des dents saines, une hygiène impeccable et pas de verre dans le nez. Je me tenais beaucoup plus droit. Je parlais mieux aussi et je n’avais plus jamais le sentiment que je déparais dans un endroit nouveau ou trop élégant. J’avais désormais beaucoup d’assurance.
-Content que tu l’aies remarqué. Mais, tu veux en venir où ?
-A la même chose que toi. Tu es séduisant, Clive.
J’ai regretté d’avoir été si transparent. Je me suis raidi et mon visage s’est fermé. L’avoir attendu si longtemps pour constater qu’il envisageait nos retrouvailles sur un angle aussi sexuel, ça m’a énervé. Merde, je ne voulais pas me heurter à une telle déconvenue.
-Ton hôtel est loin d’ici ?
-Times Square.
-Tu vas prendre un taxi pour rentrer. Je t’en appelle un.
-Tu veux que je parte ?
-C’est préférable.
On s’est levé l’un et l’autre et on s’est regardés. Il était subjuguant.
-Déçu…
-Oui.
-Tu ne devrais pas. Souviens-toi, la dernière fois…tout ce que tu m’as dit. Que je devais vivre bien au-delà de mes peurs, de toute médiocrité…Que je devais m’écarter de toute captation et tracer ma route…
-Je voulais que tu sois libre.
-Oui, c’est bien cela que j’ai compris.
-Et tu es là parce que tu es libre ? Non, tu es flatté, je t’ai attendu, je t’aime toujours. C’est exaltant ! Tu veux juste t’amuser comme tu le faisais au Bella Vista et chez Lopez.
Il a fait front et s’est approché de moi.
-Pourquoi veux-tu absolument que je n’ai jamais rien ressenti pour toi ? Ce n’est pas vrai. C’était très sexuel, et après ? Tu as vu comme nos corps se parlaient ? Ce qui a tout faussé, c’est ce lien que tu avais avec Barney ; pour le reste, j’avais de l’affection pour toi, de la tendresse. Je te trouvais fort. Et tu l’es resté ; regarde ce que tu as fait. Tu as défié la logique. On ne devait pas se revoir. Et on est là, face à face. Tu es aussi libre que moi, Clive.
Je n’ai rien trouvé à dire. Il a ajouté :
-Pose ce téléphone.
Et je l’ai fait.
Il s’est écarté de moi et il a retiré les pulls qu’il portait avec lenteur puis, avec la même nonchalance, il a enlevé son pantalon, ses chaussures, ses sous-vêtements. C’était drôle et âpre en même temps. Le danseur, il redonnait vie au passé d’une façon habile qui jetait sur notre liaison un éclairage plutôt juste. Sa nudité était tout aussi princière qu’avant.
-Tu es bien sûr de ce que tu fais, là ?
-Oui, Clive.
-Je risque de ne pas être très doux…
-Oui, je me doute bien ; mais c’est aussi bien, tu sais.