Clive le Vengeur. Partie 4. Manhattan. Erik retrouvé. Regrets de Clive.
-Tu as souffert de ce qu’il y a eu. Dis-moi cela.
-J’étais marié et j’avais mes à-côtés et puis tout s’est cassé la gueule. Te dire quoi ? J’avais pris l’argent de cet homme pour payer, entre autres, l’école de danse de Carolyn mais le tien, je ne l’aurais pris tant que notre liaison durait. Rien que l’idée de t’en demander ! Quand tout a tourné court, tu m’en as envoyé et je l’ai accepté aussi. Lui encore, dans le cadre d’un jeu malsain, ça se comprenait. Toi, je n’ai jamais compris pourquoi tu me l’avais donné.
-Tu aurais pu me poser la question.
-Mais après cette scène, t’écrire…
-Il y en a que ça n’aurait pas dérangés…
-Je l’aurais fait pour te plaindre ou me plaindre et ça aurait quoi de plus ?
-Rien. Et tu as fait quoi alors ?
-Quelque chose de mieux que de brailler pour t’apitoyer ou d’attendre ton sosie, pieds nus, la chemise ouverte, le haut du pantalon défait et une ceinture à la main. Du sexe et des fesses toutes rouges : le plaisir de l’alternance…
Il n’a pu s’empêcher de sourire et de me lancer un regard bienveillant. J’ai repris :
-J’ai monté cette affaire et elle tourne bien. Je fais venir des groupes ou des gens en solo. Certains jouent de la musique, d’autres chantent, d’autres récitent des textes drôles ou non…Je fais très attention aux éclairages…
-Tu es revenu au spectacle…
-Oui et de façon radicale. J’ai cessé de vendre des polices d’assurance et me forçant à trouver ça génial.
-C’est incroyable. Tu sais, je suis vraiment content. Ça te prend tout ton temps, alors ?
-Oui, c’est chronophage…
-Mais quand même, c’est bien.
-Oui, je gagne bien. Du reste, je peux te retourner ton argent.
-Non. Tu lui as demandé la même chose ?
-Oui et il a décliné. Je pense que vous avez tort. Ce serait plus net entre nous.
-Ça le serait sans doute avec lui mais je n’en sais rien. Moi, je ne veux pas.
-Pourquoi ?
-Tu n’as pas à me dédommager. Ça ne simplifierait ni ne clarifierait rien et tu le sais.
-On appelle ça un point de vue.
Il a souri, hoché la tête et poursuivi :
-Et sur un plan personnel ?
-J’ai divorcé comme je te l’ai dit mais bon, ça s’est tassé. Carolyn danse à Washington et on la voit autant qu’on peut, Kathleen et moi. Elle, c’est ma compagne. Elle aime qu’on parte en voyage, alors, on fait des virées pas trop loin ; assez souvent. Sinon, je monte de petites conférences avec une libraire vertueuse. Tu sais, c’est une amie de jeunesse. C’est à cause d’elle que j’ai vu mon premier spectacle de danse classique : Le Lac des cygnes…On s’était perdu de vue.
-Le Lac des cygnes. J’ai retravaillé un des solos du prince il y a peu de temps. Tu sais, je crois que ça fait partie des rôles qui m’accompagneront toute ma vie…
Il avait fini un nouveau verre de vin. Il avait une belle expression rêveuse, un peu lointaine. Ses traits avaient gardé leur régularité. Seule sa bouche avait changé. Sa lèvre inférieure était auparavant plus enfantine et renflée. Elle ne l’était plus autant. J’ai regretté. Ça le rattachait à l’enfance. Son corps était différent, plus masculin mais toujours fin et beau.
-Tu as vraiment envie que j’évoque le passé, ce qui nous a liés, n’est-ce pas ? Tu sais, je me demandais souvent de qui tu voulais te venger exactement. De quelqu’un comme Julian ou de quelqu’un comme moi ? Là, je ne parle pas de ce que vous aviez combiné tous les deux mais du fait que je t’avais parlé d’un décorateur très côté dont j’avais été proche et auquel je pensais de nouveau. Tu ne pouvais que le jalouser pour sa prestance et son rang social. Quant à moi, tu me faisais parfois l’amour de façon très…radicale…et j’avais idée que tu te vengeais de l’artiste que j’étais et suis encore. La fois d’après, tu étais drôle et tendre…Qui peut comprendre une bizarrerie pareille ?
-Tu me rendais comme ça. J’étais contradictoire.
-Tu es sûr ? C’était quoi le nom déjà, Bella Vista, c’est ça ? Oui, c’était ça. Marrant cet hôtel. Et celui qui te filait cet appartement où tu m’as fait venir ! Attends…Ah oui ! Riccardo Lopez ! L’homme invisible en personne ! A croire qu’il avait eu un rabais sur de la peinture rouge et verte… Vivre une relation aussi érotique et dense dans des lieux aussi quelconques et avec une base aussi étrange, c’était incroyable, tu ne penses pas ?
-Ecoute, je t’ai regretté, tellement regretté. C’était moche…
-Parce que tu ne faisais que ce que Julian te disait de faire ? Tu n’es pas très obéissant, quand même.
-Oui, il me l’a fait remarquer.
-Ah, tu vois !
-C’était paradoxal : ce qu’il voulait que je fasse, ça me passionnait et ça me révulsait en même temps. Je suis quand même content que tu n’aies cédé pour ce truc à trois. Cette caricature du ballet que tu avais dansé…
De nouveau, il a fait peser sur moi son regard clair. J’y lisais cette absence de jugement qui m’avait tant troublé au départ et cet amusement tendre que je ne cessais d’éveiller en lui.
-On devrait recommander du vin.
-Non. Je ne vois pas pourquoi.
-Mais si.