Clive le Vengeur. Partie 4. Café et hôtel à Manhattan. Erik et Clive veulent se parler.
Lui, il s’est montré très simple.
-Il y a peu de chance qu’il soit vide. On risque de nous écouter ou de nous déranger comme dans celui-là.
-Oui, peut-être mais…
-Tu as pris une chambre ici, Clive. Allons-y.
Franchement, ça m’a fait paniquer. Entre ce désir que j’avais de lui, cet amour qui m’animait et la lourdeur de ce que j’avais à lui dire, je me voyais mal garder mon sang froid. J’ai d’ailleurs, une fois dans la chambre (qui n’était pas une suite), j’ai accumulé les maladresses. Je me suis mis à parler vite et fort :
-Je regrette depuis des années. A commencer par ce pari stupide…Vraiment, je regrette. Avoir menti comme ça.
-On a tous menti.
-Mais on t’a atteint quand même !
-Ce n’est pas ce que tu penses…
-Ce mal que je t’ai fait…
-Calme-toi !
-Me calmer ?
-Oui, Clive. On va parler de toute manière.
Il avait beaucoup plus d’assurance, cela se sentait et en même temps, il avait gagné en envergure. Le bonheur et le malheur, il savait qu’on ne les contrôlait pas et il s’en arrangeait. Dans son regard, je captais toujours ce côté rêveur et en même temps très artiste qui faisait qu’en toutes circonstances, il verrait toujours « une pointe de beau ». A l’évidence, ça le sauvait ça car ça faisait de lui un bel être curieux, très créatif et ancré dans une dynamique qui n’était pas celle du commun des mortels.
Il a ouvert le minibar et s’est servi une eau gazeuze puis, il s’est assis sur un fauteuil qui jouxtait une fenêtre. Son regard est allé des encadrements quelconques sur les murs au grand lit tout en s’arrêtant aux rayonnages pour placer ses vêtements et à mon sac de voyage posé à terre. Il réfléchissait. Au bout d’un court silence, il a repris :
- Tu as l’air de penser vraiment souvent à ces années lointaines !
- Mais bien sûr !
- C’est clair, ton rôle était malsain mais Clive, écoute, écoute-moi : on s’est vus peu de temps. Cette histoire, elle n’a duré que quelques mois …
- C’était peu ? Non, non !
Il m’a fait un signe d’apaisement puis m’a souri, comme pour me rassurer :
-J’étais à moitié fou à cette période de ma vie. J’étais méchant avec moi-même, je cherchais des situations extrêmes…
-T’as été servi.
-Oui, ce n’était pas mal. J’étais dur avec lui-aussi, tu sais…
-Je ne sais pas, je ne sais pas.
-Il te manquait beaucoup d’éléments. Tu sais, je ne vous ai pas ménagés l’un et l’autre même si vous estimez, à juste titre, ne pas m’avoir bien traité.
-Tu as dit quoi ?
-Que j’étais difficile…
-« Dur », « A moitié fou » ? Non, non. Ou alors, des fous comme toi, on se précipite…Pour nous, je dirais, t’étais trop funambulesque ! Oui, ça rendait rageurs…
-Rageurs ?
-Ou vengeurs…Tu comprends ?
-Pas tellement. Mais continue…
-C’était impossible de te laisser filer…Tu étais tellement attirant…Lui, moi, on voulait te coincer.
-Oui, j’ai compris…Ça m’a mis hors de moi vos…bêtises…là mais ce n’était pas le plus important. Moi, j’avais le poids de cette mort. Je voulais expier…Et puis au Danemark, tout a fini par se dénouer. Le pianiste qui avait vu sa carrière se détruire, il n’est pas mort à cause de moi. Il était dans une situation difficile, je ne peux pas t’expliquer mais ce n’était pas ce qu’il a dit. Une histoire de dettes, de corruption. Il était au bout…Du coup, ça a tout relativisé…
-Mais qu’est-ce que tu dis ?
-Que c’était cette mort qui m’accablait. Vos simagrées à Julian et à toi, ce n’était pas le plus important. Et de toute façon, j’étais tout le temps sur la sellette au New York City ballet. J’avais une obligation de perfection : c’était pesant parfois. Je m’occupais beaucoup de ma carrière.