Battles. Partie 1. Paul et le commissaire Fenesci. Premiers interrogatoires.
-Je suis le commissaire Fenesci.
-Un commissaire de la police spéciale.
-Vous méritez cet honneur, monsieur Kavan.
-Battles.
-D'accord pour le pseudonyme. Il y a deux ans que vous vous vous commettez sur cette radio pirate qui inonde le pays de nouvelles fausses.
-Elles sont vraies. Vous nous intoxiquez. Enfin, il est vrai que vous le faites moins, ces derniers temps puisqu'on a arrêté presque tous vos acolytes. Il ne restait guère plus que vous...
-Non, c'est ce que vous voulez nous faire croire.
-Vraiment ? Et quand bien même ! A partir de maintenant, il vous sera difficile de vous faire entendre. Et si vous ne parlez plus, vos rares auditeurs manqueront de courage.
-Je suis en état d'arrestation, je le sais mais j'aurais donc eu raison de dénoncer vos façons de faire...
-Monsieur Barne, pardon Battles, vous connaissez la loi. Vous avez été des années durant un de nos meilleurs journalistes alors ne venez pas me dire qu'il est légal d'attaquer l'état comme vous l'avez fait. Vous n'avez fait que parler, oui je sais, mais sur une radio pirate. Grâce à vos propos, on a attaqué des membres des forces de l'ordre, incendié des entrepôts, enlevé des chefs d'entreprise, barré des routes, saccagé les locaux du RFP, empêché des meetings...
-Je suis un ami de la liberté.
-Ah ? Pourtant votre but a été de détruire, de saccager, d'être subversif.
-Nous y voilà : subversif !
-Oui, mais vous serez surpris ! Le Rassemblement pour la Force Populaire sait reconnaître la vaillance d'un adversaire. Vous serez donc jugé rapidement et avant cela, emprisonné dans de très bonnes conditions.
-Je suis un patriote. La mort ne me fait pas peur. Elle fera de moi un héros !
-Vous ne mourrez pas. A priori, tout le monde n'a pas droit à de tels égards.
-Que pourrez-vous bien faire de moi ? Vous ne me changerez pas !
Le commissaire eut un sourire froid.
-Il y a bien des bien des façons d'être emprisonné...
-Depuis dix ans que vous avez pris le pouvoir par la force, combien sont morts...
-Des dissidents...
-Des soldats de la liberté.
-Mais laquelle ? Ils ont posé des bombes, on les a empêchés de nuire.
-Vous les avez fait fusiller, je le sais.
-Mais vous, à travers vos appels radiophoniques, vous avez su galvaniser des soldats de l'ombre qui ont tué des femmes et des enfants...
-Non. Ils s'en sont pris à des soldats ou à des sbires du régime. Vos soldats à vous tirent sans sommation et ce sont eux qui s’en prennent à des mères de famille. Vous arrêtez et faites disparaître qui passe dans la rue et pour faire des exemples, vous abattez des civils. ! Vous iriez le nier ?
-C'est à voir...Il y a eu pas mal de violence orchestrée par le régime, je vous l'accorde mais contrairement à ce que vous pensez, notre chef d'état a agi sainement. Notre pays se porte fort bien.
-C'est d'une logique contestable, commissaire Fenesci. Doit-on approfondir ?
-Non car le faire nous entraînerait trop loin. Notre Guide sait faire la différence entre l'irrécupérable et le récupérable : vous devez vous en persuader.
Paul haussa les épaules. Cet interrogatoire n'était pas conforme à ce à quoi il s'était attendu. On lui parlait avec fermeté mais sans mépris et on ne le molestait pas. Il n'était ni giflé, ni frappé et personne ne hurlait.
-Une cigarette, monsieur Kavan ou un café ?
-Un café. Vous ne trouvez pas surprenant de m'en offrir un ?
-Mais non. Pourquoi ?
Le café était horrible, même le commissaire aux yeux sagaces, l'admit.
-Il y a plus important.
Il précisa à Battles les chefs d'accusation retenus contre lui et lui expliqua qu'il n'aurait pas d'avocat. Sa femme, il l'espérait, serait arrêtée prochainement et étant elle-même un élément brillant. Paul et Lisbeth avaient mis à l'abri depuis longtemps déjà leurs deux grands enfants, ce qui était gênant pour le gouvernement en place. On ne pouvait pas les utiliser comme otages. Mais trouver la femme ne devrait pas être compliqué. On la torturerait pour la faire parler. Ça changerait les plans de ce journaliste trop arrogant. Il l'informa qu'on l’arrêterait.
-Elle est toujours sur le territoire. C'est une question de jours. Elle est aux abois.
-Vous utiliserez la parole de l'un pour contrer l'autre ?
-Certainement. Les femmes sont sensibles.
-Et vous la frapperez ? Je connais vos méthodes.
-Vous savez en parler car on s'est plaint à vous. Quant à les connaître par vous-même...Notre Guide Jorge Dormann dispose d'une police puissante.
-Je suis au courant.
-Je suis fier d'en être membre.
-Dormann est un saint. Vous le célébrez !
-Il a été élu démocratiquement.
-Non. Les élections étaient truquées. La presse étrangère a relayé l'information.
-L'Amérique et l'Europe de l'ouest ? Nous savons cela. Nous connaissons leurs méthodes. Ces élections étaient légales. Moi, je suis le représentant d'un ordre établi par notre Guide. Vous l'avez enfreint. On vous jugera comme vous devez être.
-Condamnation à mort. Je suis un traître.
-Je vous l'ai dit, vous ne mourrez pas. Vous n'écrirez pas votre légende.
-Hôpital psychiatrique ?
-Vous êtes sain d'esprit, Kavan !
-Prison.
-Il faudra bien. Vous recommenceriez...
-Garde à vue dès maintenant ?
-Vous êtes perspicace ! Elle ne durera pas car vous serez rapidement transféré. Un endroit très confortable et, j'insiste, très surveillé. Je parle de la période qui précédera votre jugement.
-Jeux de société ?
-Je crains que vous ne deviez jouer en solitaire...
-Isolement... Je n'arrive pas à me faire à l'idée...