Battles. Partie 1. Paul en clandestinité. Lancer des appels au soulèvement.
Dans les temps où sous le nom de Battles, Paul attirait clandestinement les auditeurs en émettant à des heures et en des lieux que seuls connaissaient les initiés, il avait eu en main quelques documents secrets décrivant cette prison et il leur avait consacré plusieurs émissions. Il n'était pas nécessaire que chacune d'elles fût longue mais il fallait que les rendez-vous fussent réguliers. Entre dix-neuf et vingt heures, le couvre-feu avait déjà commencé sans que les obligations familiales eussent vraiment pris toute la place ou les soirées de célibataire commencé à distiller leur ennui. C'était là que, brièvement, il fallait émettre et, malgré le brouillage sonore créé par la partie adverse, la voix de Paul s'élevait et savait convaincre.
Camarades de l'ombre, ici Battles...
Il savait qu'alors on retenait sa respiration.
A diverses reprises, il avait évoqué la prison Étoile puisqu'il détenait sur elle des documents confidentiels dérobés dans un ministère par une femme de ménage insoupçonnable pour l'instant...
«En vous disant que dans le régime actuel, il n'existe que des prisons où des détenus accomplissent de justes peines, le gouvernement de Jorge Dormann vous ment. Il y certes des centres pénitenciers pour les droits communs et en ceci, on nous affirme que rien n'est anormal. Or la population de ces centres a été multipliée par trois en six ans sans que des locaux supplémentaires aient été construits. Le taux de mortalité dans ces prisons est très important, ce qui vous est caché. Sous-alimentés et mal traités, les détenus les plus faibles meurent, ce qui explique que la taille des locaux n'a pas besoin d'être modifiée...
Camarades de l'ombre, refusez la propagande ! Non, cet état providence ne vous débarrasse pas des voleurs et des violeurs en leur offrant une saine rédemption, il en tue un grand nombre et laisse en vie ceux qui, demain, seront plus dangereux encore ! Quant à la prison Étoile, elle vous est présentée comme un modèle. Ne faut-il pas faire travailler ces oisifs improductifs qui vivaient sur le dos des autres ? Ne faut-il épurer la société de tous ses espions et de tous ces traîtres qui vendraient leur pays à une puissance étrangère pour de l'argent ? Battles vous le dit : tout ceci est faux. On a arrêté et transféré à Étoile, de grands professeurs d'université, des écrivains tels Roman Bloch ou Alban Harchel, des scientifiques de haut niveau comme Alfred Lachman, des metteurs en scène, des acteurs, des chanteurs, des journalistes, des philosophes. Pourquoi n'entendez-vous plus Émeline Darchel sur les ondes ? Elle avait une très belle voix ! Savez-vous pourquoi Rémi Hercouk ne vous fait plus rire chaque soir à dix-huit heures ? Croyez-vous que Micheline et Harry Erland ne jouent plus dans aucun film car, appâtés par l'argent, ils sont partis en Angleterre ? J'ai la preuve formelle que ceux que je viens de nommer ont été arrêtés, hâtivement jugés et condamnés à de lourdes peines. Ils sont à Étoile. Cette prison comptait huit cents détenus il y a dix ans. On estime à deux mille le nombre de personnes qui y sont emprisonnées aujourd'hui et l'argent a été trouvé pour agrandir les liens !
Camarades de l'ombre, Battles vous le dit : n'ayez pas peur, ne dénoncez pas, allez aux réunions clandestines et luttez contre ce régime de tueurs et de menteurs ! »
Il avait même décrit les lieux : un pôle central et cinq branches. A priori, outre les politiques hommes et femmes qu'on ne mélangeait pas, il avait là tout un service hospitalier, des locaux réservés aux interrogatoires, d'autres liés à des formations professionnelles particulières et d'importants services administratifs. Une partie des archives de l'état se trouvaient là. Loin de tout, la prison avait besoin d'un grand stockage de nourriture et de matériaux en tout genre. Difficilement desservie par la route, elle disposait d'un aéroport qui ne pouvait être utilisé qu'en certaines saisons. En survolant les lieux, on pouvait s'étonner qu'ils ne fussent entourés que d'entrepôts et d'usines alors qu'on travaillait beaucoup à Étoile. C'était vrai à ceci près que les détenus vivaient dans des structures souterraines. A Étoile, on se déstructurait lentement et on mettait du temps à mourir. Dans l'entre deux, on travaillait beaucoup et tous les jours...