Battles. Partie 1. Paul condamné. Attente de transfert.
Pendant cette période, étrange, il dormit beaucoup et rêva. Il revit les premiers temps où, sur les bancs de l'université, il avait fait la connaissance de Lisbeth. C'était une fille étrange, qui semblait en vouloir au monde entier. Elle avait pour elle d'être cultivée, intellectuellement curieuse et de se montrer déterminée. Elle croyait fermement que l'humanité était faite pour défier le malheur. Elle venait d'un milieu aussi bourgeois que le sien mais avait dû faire beaucoup d'efforts pour échapper au conformisme parental. Son indépendance d'esprit la gênait dans ses rapports avec sa famille et à cette gêne venait s'en ajouter une autre. Ses parents avaient attendu qu'elle ait dix-huit ans pour lui avouer qu'elle était une enfant adoptée. Maria Barrek se croyait stérile et avait insisté auprès de son mari pour qu'une adoption se fasse. Seulement, trois ans après l'arrivée de cette étrange enfant brune au sein de leur foyer, un enfant était né puis une autre. Étrange Lisbeth qui n'avait rien accepté. Tout en faisant ses études, elle avait travaillé dans un magasin de couture tout en écrivant des contes torturés qui n'avaient pas trouvé leur public.
Dans son rêve, il la voyait se débattre car sa naissance était illégitime. C'était un opprobre qu'elle supportait mal. Il la rencontrait ensuite et en tombait amoureux. Cette grande fille au visage hardi avait l'air fâché. Assis à côté d'elle dans un amphi, il tentait de l'amadouer. Il voulait l'inviter dans un cercle littéraire où il brillait, certain qu'elle y viendrait mais elle riait et se moquait de ses prétentions. Et puis, comme il insistait, elle cédait. Elle lui parlait.
Dans un autre rêve, il se revoyait tombant amoureux d'elle avant même qu'elle ne se soucie de lui. Piqué au vif et désireux de lui plaire, il se lassé puisqu'elle l'ignorait. Mais alors, elle changeait d'attitude. En rêve, il se revoyait ouvrant la première lettre qu'elle lui avait écrite. Elle était glissée dans un livre qu'elle lui prêtait. L'un et l'autre cultivaient leur indépendance d'esprit et ils n'aimaient pas les moyens modernes d'échange. Le café et les discussions ! Ils s'étaient donc beaucoup écrit, ce qui relevait d'un romantisme désuet mais courageux puisqu'ils étaient arrivés à leurs fins. Soudain, ils s'embrassaient et plus tard, il lui faisait l'amour. Elle n'était plus vierge depuis quelques années et lui non plus. Le sexe, entre eux, avait été difficile car chacun avait attendu de l'autre une aisance qu 'il n'avait pas. Puis, s'apprivoisant l'un l'autre, ils s'étaient simplifiés et le plaisir était venu. Ils en avaient eu beaucoup avant leur mariage puis dans les premiers temps de leur union. Quand les enfants étaient apparus, la donne n'était déjà plus la même. Ils les avaient pourtant eus très jeunes mais l'un et l'autre couraient partout et il se trouvait toujours quelqu'un pour les garder. Il revoyait nettement, dans son sommeil, le visage de son garçon et celui de sa fille et comprenaient que, les sachant siens, il les aimait profondément. Mais tout cela était si loin !
Ensuite, il n'eut plus besoin de rêver. Il revit Lisbeth à vingt ans. Elle était mince, avait peu de poitrine et ses cheveux blond-roux coupés au carré encadraient son visage un peu dur aux sourcils épais et aux yeux brun vert. Elle relevait sa robe et lui montrait son sexe. Ils étaient seuls dans une chambre. Il riait puis s'approchait pour l'embrasser. Seul l'amour existait entre eux et ce désir d'union, si fort, si intense...Ensuite, il avait eu des maîtresses. Il était assez bel homme et plaisait aux femmes. Elle aussi avait eu sa cour et ses amours. Il en était encore à la femme d'un banquier qui succédait à celle d'un directeur de journal qu'elle s'était inquiétée, non de leurs frasques mais de ce qui se passait dans leur pays. Tout changeait. Le pays dans lequel ils vivaient allaient sombrer. Il fallait faire partir leurs enfants. Quelle présence d'esprit ! Dès que Jorge Dormann avait renversé le régime en place, il avait fallu lutter. Et alors, ils avaient fait front ensemble. Cela sauvait leur couple. Paul était heureux d'évoquer la solidarité qui les avait unis depuis leurs prises de position. Savoir que malgré l'éloignement, elle était encore là, l'aidait à affronter son arrestation et sa condamnation.
Enfin, son gardien vint l'avertir que son transfert était organisé.
-C'est maintenant. Il faut mettre ces vêtements là et partir. Je vais te mettre des menottes. Il ne faudra pas crier. Il ne faudra pas se débattre. Tu as été au poil ! Si tu avais cherché à filer, je t’aurais cassé la tête avec joie mais tu n'as pas bronché. Moi, je dis Chapeau !
Qui aurait dit que cet homme, laconique à l'habitude, était capable d'une telle éloquence ! Paul passa les vêtements préparés pour lui avant d'être guidé dans le couloir et installé, menotté, à l'arrière d'un véhicule banalisé. Un garde inconnu s'installa, armé, à ses côtés.
-Nous assurons la première prise en main.
Paul ignorait de quoi il parlait mais le fait est que la voiture traversa Dannick. Il reconnaissait les rues sans difficulté et s'étonnait qu'on ne lui ait pas mis un bandeau ; mais il comprit pourquoi. On le faisait juste passer d'un quartier à un autre. La maison devant laquelle on le fit descendre ressemblait à beaucoup d'autres. Qu'il sache dans quelle rue elle se trouvait n'avait pas d'importance. Il n'aurait jamais le loisir de se plaindre qu'on l'y ait transféré. Une équipe l'attendait et cette fois, les choses devenaient sérieuses. C'était des policiers d'élite, tous en uniforme et tous armés. Leur chef s'avança vers lui et lui dit :
-Cinq cents kilomètres. Je vous arrête à un relais et là, d'autres vous prendront en charge. Le transfert s'effectue sur deux jours.
-Deux jours ?
-Oui, comme ça, on passe inaperçu. Ne vous inquiétez pas, tout est bien organisé. La logistique d'Étoile, c'est impressionnant. On a reçu des ordres pour votre convoyage. Tout est tiré au cordeau.