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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
12 juin 2024

Battles. Partie 1. Paul à Etoile. Devenir un matricule.

 

 

Il portait une blouse blanche et devait être infirmier ou aide-soignant. Il ricanait.

-Je peux me lever ?

-C'est même obligatoire.

Paul le fit, sa tête tournait un peu.

-T'as de beaux habits ! Bon, viens avec moi.

Il le suivit jusqu'à un petit bureau.

-Je suis dans l'aile des rééduqués ?

-Non, pas encore. Tu es impatient ? Tu as raison ! Ce n’est pas tout le monde qui à ce traitement- là. On fait du savon à Étoile, des engrais...

Paul frémit. Dans une partie de cette immense prison, on devait tuer, brûler les corps et recycler les cendres...

-Vous serez un type bien après ! Imaginez un peu, qu'on se recroise...

-C'est possible ?

-Ah je ne pense pas ! Pour sûr, ça va être tout un processus mais vous serez un sacré monsieur...

Le supposé infirmier, qui ne s'était pas présenté, se leva, ouvrit une armoire et en sortit une boîte pleine de jetons.

-Prends six pions jaunes dans la boite. Tu me donnes ensuite les chiffres que tu as.

Paul obéit.

-Cinq, huit, trois, deux, sept, neuf.

-Cinquante-huit trois. Deux cent sept neuf. C'est ton matricule. Tu dois le savoir par cœur. Tire une lettre. Pions rouges.

-D.

-Usine de montage. Pas mal pour un intellectuel. Tu aimes les voitures ? Celles-ci ne sont pas de luxe. Ah ah !

-Je travaille sur une chaîne de montage ?

-Voilà ! En tout cas, c'est un départ ! Ton matricule ?

-Je m'appelle Paul Kavan. Et vous ?

-Moi, ça n'a aucune importance. Oublie ton nom. Cinquante-huit trois. Deux cent sept neuf. Devant, tu ajoutes D et après tu ajoutes S. Secret.

-Je vais bien être rééduqué ?

-C'est ce qu'il me semble.

-Je refuse ce traitement.

-T'as des idées dans la tête sur ce qu'on veut faire de toi ; mais ça ne marche pas comme ça. Allez, apprends ton matricule !

-Non !

-Tu sais, parler, ça fait du bien, alors comme tu ne pourras pas l'ouvrir beaucoup, entendre le son de ta voix quand tu diras comment tu t'appelles ici, ça te fera du bien !

-Où sont mes vêtements ?

-Qu'est-ce que j'en sais ? Redonne- moi ce pyjama et enfile cette combinaison. Ton matricule est cousu dessus. Tu vois, on pense à tout.

Paul se mit en colère. Il refusait de faire ce qu'on lui demandait. Le soignant le gifla et dans l'instant où il le faisait, un soldat entra dans la pièce, le ceintura, le poussa à terre et le menotta.

-Matricule?

L'infirmier riait.

 

ETOILE

Extension territoriale à objectif intrinsèque : lente évolution.

Aile des prisonniers politiques.

 

Paul avait entendu parler de cette prison mythique bien avant que le gouvernement de Dormann ne prenne sa forme la plus dure. Située dans une région froide et vide de toute vie humaine, elle était réputée pour son haut degré de technicité et le danger qu'il y avait à y être envoyé. Il avait cru d'abord, comme beaucoup, qu'on y avait peu de chance de survie à cause de la violence physique dont on usait avec les prisonniers, la dureté des interrogatoires et la nécessité d'en arriver aux aveux, si mensongers et forcés fussent -ils...Il avait pensé qu'à force d'être employés à des tâches inutiles comme celles de casser des cailloux pour ne rien en faire ou de déblayer la neige pour aménager des chemins sur lesquels personne ne circulait, les prisonniers n'avaient plus leur sens commun. Ils devenaient des zombies semblables à ceux qui peuplent les films d'horreur et finissaient par mourir. Puis, il avait compris qu'il se leurrait. Étoile, était une vaste structure qui se divisait en deux zones. Dans la plus vaste d'entre elles, on entrait parce qu'on avait mal agi et on restait car on pouvait être exploité. L'emprisonnement étant lié à l'industrie et au commerce, on repérait votre spécialité à l'entrée et on vous formatait pour travailler de nouveau. Les détenus qui faisaient partie de ce recrutement ne quittaient en général la prison que parce qu'ils étaient trop âgés. S'ils bénéficiaient d'une remise en liberté pour bonne conduite, à la veille d'être remis dans le circuit normal, ils refusaient de le réintégrer car ils étaient devenus aussi fragiles que de très jeunes enfants et avaient peur de tout ayant été privé du droit à l'initiative des années durant. Ils erraient donc comme des âmes en peine dans des zones un peu délaissées de la prison, cherchant soit à se faire prendre en pitié, soit à commettre un délit léger pour obtenir une nouvelle incarcération...

L'autre zone était réservée à des prisonniers d'élite dont on comptait exploiter la valeur après les avoir retournés. Certains seraient sans cesse intimidés et obéiraient par crainte de représailles quand ils auraient repris leur vie passée ; d'autres étaient appelés à être vidés d'eux-mêmes et transformés. La dictature en place aimait mettre ces individus en avant, comme preuve de sa mansuétude.

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