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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
15 juin 2024

Battles. Partie 1. Commissaire et accusé. Questions sans fin.

 

-Votre situation était périlleuse, vous le saviez, n'est-ce pas ?

-Je le savais.

-Vous avez bénéficié d'un vaste réseau de traîtres au régime, prêts à vous aider car vous les aviez induits en erreur. Pour ma part, je vous arrête pour délit de fuite, agressions contre les forces de l'ordre et insultes à personnalités publiques. Par ailleurs, alors que vous étiez interdit d'antenne, vous avez réussi à vous faire entendre sur des sujets brûlants. Non content de refuser votre disqualification, vous vous êtes trouvé en possessions de documents confidentiels qui auraient dû rester propriété de l'état. Comme vous le voyez, vous êtes dans une situation grave. Pour ma part, je ne suis autorisé à vous interroger que sur certains chefs d'accusation, ceux que j'ai mentionnés en premier...

-Vous sembliez déjà bien informés.

-Pas suffisamment.

-Vous voulez des noms. Exigez- les et vous verrez.

-Et pour cela, nous vous frapperons ? Dans ce service, il y a des gens qui savent s'y prendre pour arracher des dents ou des ongles, brûler certaines parties du corps ou encore faire appel à l'électricité. Je sais combien ces tortures sont redoutées par ceux ou celles à qui nous les ferons subir. Mais, je vous l'ai dit, il y cas et cas. Le vôtre est spécial.

-Et donc on me traite comme un gentleman ? Que ferez-vous à ma femme ?

-Ah, vous admettez donc que son arrestation est imminente. Je n'en sais encore, j'attends des ordres d'en haut. Si elle doit être torturée, elle le sera, mais ça reste à voir. Vous concernant, nos experts ne sont donc pas enclins à nous laisser utiliser cette voie classique qu'est la torture : ce serait du gâchis. Elle, elle vous est subalterne. Ce serait tentant ! Mais enfin, il faut attendre.

-Dans quelle prison la mettrez-vous ? Streliva ?

-Votre imagination est très vive et votre mémoire semble se remplir puis se vider sur commande. Vous voulez quoi ? Qu'on pleure sur elle, sur vous ? Un cachot, le froid, la faim.

-Vous dites que j'ai trahi.

-C'est exact. Vous avez à plusieurs reprises informés des esprits égarés sur je ne sais violation de lois, je ne sais quels abus ; sur les ondes, votre voix est très persuasive.

-J'ai fait ce qui devait l'être.

-Pourquoi une définition aussi fausse de l'héroïsme ? Vous savez, c'est dommage que nous ne nous comptions pas dans nos rangs car non seulement la radio vous serait ouverte mais la télévision ! Au-delà de cette voix magique qui sait si bien enflammer les auditeurs, il y a votre présence physique, qui, je puis vous l'assurer, vous ouvrirait d'emblée un vaste public sur une de nos chaînes nationales, en semaine, à une heure de grande audience. Vous n'êtes pas trop âgé, avez un physique un peu âpre mais convaincant et ce genre de séduction que dégagent ceux qui ne passent par leur temps à se regarder dans une glace. Et puis quelle présence ! Outre le fait que ça vous rendrait puissant mais cette fois pour la bonne cause, vous feriez un malheur...

Paul frémit.

-Vous voudriez me réutiliser ?

-Moi, je ne veux rien.

-Je sais de quoi vous parler.

-Et vous tenterez de vous suicider en prison pour échapper à ce qui pourrait être votre chance ? Vous pensez qu'on vous laissera faire ?

De nouveau, le commissaire eut un sourire froid.

-Il y a des moyens pour mourir.

-Je sais. Revenons à la violence physique. Elle aurait des effets manifestes sur vous, cela est certain. Nous avons bien cerné votre profil psychologique. On s'acharne en vain après quelqu'un qui a la faculté de se rendre amnésique. Vous nous feriez attendre ; Oui, c'est cela que vous voudriez ! Kazan le héros ! Mais vous attendrez.

-Mon procès ?

-Bien sûr.

Le commissaire eut un rire étrangement haut mais Paul, qui se tenait très droit sur sa chaise, lui, ne rit pas. Il n'avait fait que courir et se cacher, ces derniers mois, et maintenant que, dans les locaux de la police, il était contraint à l'immobilité, il prenait la mesure de ce qu'il avait fait. Parler clandestinement pour informer des méfaits d'une dictature, savoir qu'il était écouté, apprécié et attendu par tant d'opprimés qui trouvaient en lui une raison de rester debout et de résister, n'allait pas sans risque. Il dormait souvent mal et seul, ne portait pas toujours les vêtements qu'il voulait, se déplaçait de nuit et changeait sans cesse de cachette. Il avait commencé à parler à Dannick au moment où le dictateur avait montré son vrai visage puis il avait navigué entre Dauva, Estralla et Marembourg. C'est là qu'il aurait dû rester car il y était littéralement confiné dans une maison bourgeoise prétendument inhabitée. Les volets en étaient toujours fermés. Un parc l'entourait et de hauts murs. Il n'y avait aucun moyen de deviner qu'il était là car c'est un dignitaire du régime qui le cachait, tout en négociant en secret avec l'étranger pour faire tomber l'homme fort qui s'était emparé du pouvoir avec son assentiment avant qu'il ne se mette à douter de lui puis à le haïr. Mais il avait voulu revenir à Dannick, peut-être parce que sa vie passée d'homme reconnu et admiré s'était déroulé là. Et il avait été dénoncé...Au fond, il avait négligé le fait qu'il pouvait se faire prendre. C'était là une grande faute.

Le commissaire continuait de parler sur un ton plus primesautier que policier et il proposa de nouveau cigarette et café en assurant que ce dernier serait bon, cette fois. Il revenait sur la valeur de Paul en tant que journaliste et chroniqueur comme s'il allait de soi que celui-ci allait revenir sur ses propos et ses actes, s'amender et changer de bord. Les succès féminins...Il riait de nouveau.

Au bout de deux heures environ, l'entretien prit fin. Il avait été entrecoupé par plusieurs coups de fil où on donnait des ordres) ce commissaire tout d’un coup bien moins souriant.

-Eh bien, nous ne nous reverrons pas, monsieur Kavan.

-Prison et procès.

-Voilà. Et emprisonnement.

Jusqu'à cet instant, Paul avait pensé à une prison proche de Dannick où on le mettrait à l'isolement mais dans son esprit, venait d’apparaître une lointaine colonie pénitentiaire sur laquelle il était difficile d'être informé. On ne le mettrait pas là, tout de même...

-Au revoir, commissaire.

Sa voix manquait de fermeté. Son interlocuteur lui jeta un regard railleur puis décrocha son téléphone.

-Au revoir.

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