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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
3 juin 2024

Battes. Partie 1. Paul en prison. Cellule et travail.

-Tenue bleue.

Il changea de vêtement et revêtit une combinaison bleu-marine sur laquelle figurait sur le torse et le dos, son matricule en grosses lettres.

-Je t'emmène au travail. Exécution.

 Au bout d'un long couloir, il fallut descendre un ascenseur. A sa sortie, escalier Paul comprit où il était. Il avait retrouvé l'air libre. La température était glaciale et il se hâta pour rejoindre l'autobus qui l'emmenait au travail. Celui-ci roula près de trente minutes et Paul regretta d'en voir si peu. L'ampleur d’Étoile lui échappait. Quand le bus s'arrêta, il descendit avec d'autres prisonniers qui n'avaient pas dit un mot et n'avaient jamais croisé son regard et se dirigea vers un hangar. C'était l'entrée de son atelier. Dans une sorte de vestiaire de la salle de montage, il dut enfiler une sorte de scaphandrier puis on le conduisit dans une allée ou cinq heures durant il fit les mêmes gestes sur des portières de voiture qui n'étaient pas complètes. Personne ne lui parla et il ne réussit pas à savoir si les autres ouvriers étaient oui ou non des détenus politiques. Il n'y eut pas de pause à midi et on travailla encore avant qu'une sonnerie ne retentisse. C'était fini. La gardienne Xest lui fit reprendre l’autobus. En cellule, lavé et changé, elle le fit dîner puis lui donna à étudier des textes de Dormann pour le lendemain. Au bout de deux heures, il s'effondra sur son lit, épuisé...

Les jours suivants, il en alla de même. Il travaillait, apprenait, récitait, refusait, prenait des coups, dormait, recommençait. Le travail ne lui posait pas de problème ; il avait compris ce qu'on lui demandait. Mais Xest était monstrueuse. Elle l'insultait et l'avilissait. Il lui résista longuement mais on commença à lui donner un traitement. Il devait matin et soir ingurgiter des pilules de couleurs diverses et s'il ne remarqua rien dans les premiers jours, il fut ensuite forcé de le faire. Ces médicaments le rendaient hagard. A l'atelier, on lui fit de sèches remarques car il n'était plus aussi rapide et il faillit tomber plusieurs fois en regagnant sa cellule tant son équilibre était instable. Ses apprentissages restèrent au point mort mais pour de nouvelles raisons. Il n'avait plus de mémoire et oubliait beaucoup. Il fut donc puni régulièrement, humilié et frappé. Puis, bizarrement, ses facultés revinrent. Il travailla, n'eut aucun mal à apprendre mais nargua Xest en récitant mal. Elle sévit beaucoup moins. Pourquoi ? Au travail, il fut aux aguets. Les prisonniers qu'il côtoyait à l'atelier lui semblait toujours aussi éteint mais au moins, ils existaient concrètement. Dans l'aile des dissidents à rééduquer, on n'entendait jamais aucun bruit. Combien étaient-ils ? A quel stade se trouvaient-ils ? Xest, bornée et sournoise, ne répondait pas à ses questions.  Comme il rentrait de l'atelier un soir et que sa gardienne le faisait entrer en cellule, il entendit courir. Se retournant, il vit des gardiens qui se hâtaient. Xest monta en créneau.

-Entre dans ta cellule. Et dépêche-toi.

-Que se passe-t'il ?

-Il ne se passe rien.

C'était faux. Les gardiens s'engouffraient dans une cellule au fond du couloir.

-Pourquoi gardienne ?

-Pour rien ! Ne fais pas ta mauvaise tête. Allez !

Il obéit mais se raidit et guetta plus encore. Un nouvel événement survint. Une nuit, il entendit des hurlements dans le couloir, des supplications, des ordres secs. On tira un corps, il le devina et on disparut. De nouveau sur le qui-vive, il tenta de savoir. De nouveau, Xest fut évasive et Paul fut révulsé. Dans l'aile de la rééducation, on tuait : il devrait en savoir plus.

 

Il s'irrita.

-Gardienne Xest, je suis ici depuis six semaines ; que fait mon instructeur ?

-Il te convoquera.

-Mais je suis prêt !

Xest eut un rire mauvais.

-Tu le verras.

-J'ai des questions à lui poser.

Xest eut un rire mauvais.

-Ah ! Lui aussi, figure-toi !

Son conditionnement n'étant pas total, Paul eut un sursaut et décida de désobéir plusieurs jours de suite. Il faisait bien mine d'avaler ses comprimés mais réussissait à les garder en bouche sans qu'il se dissolve et les recrachait. Toujours sévère, Mariel Xest parut moins vigilante. Elle ne remarqua rien. Il commença à lui tenir tête. Elle le reprit sans insister. Un matin, elle lui dit :

-Tu ne vas au travail.

-Je suis en tenue, gardienne.

-Je sais mais aujourd'hui, c'est différent.

-Je ne suis pas assez rapide sur la chaîne de montage ? Je parle alors que c'est interdit ? Est-cela, gardienne ?

-Si tu le dis !

-Je n'apprends pas assez vite ?

-Que de questions ! Ton instructeur t'attend. Je te conduis à son bureau.

-Mon instructeur, gardienne ?

-Tu es sourd ?

Paul, qui n'était plus sous l'emprise chimique des pilules qu'on lui faisait avaler, pensa qu'il allait enfin se heurter à un de ces hommes de fer qui faisaient la réputation d’Étoile. Pour l'instant, mis à part le travail et cette gardienne sournoise, il estimait ne pas avoir touché la réalité de la prison.

-Gardienne Xest, c'est loin ?

-Mais non, abruti, le bureau de ton instructeur est dans ce bâtiment.

Les couloirs et les escaliers se succédèrent mais Paul n'eut pas le sentiment de faire un grand parcours. Il n'avait pas de mal à suivre et il fut ravi. S'il avait pris son traitement, un trajet comme celui-là lui aurait beaucoup coûté.

Ils s’arrêtèrent devant une porte grise et Xest frappa. Une voix sèche lui répondit.

-Il faut attendre. Il est sans doute au téléphone.

Se sentant fort, Paul fut maladroit.

-Je crois que ça va être un grand moment !

Xest lui jetait un regard curieusement moqueur quand la même voix sèche indiqua qu'ils pouvaient entrer

-Donne ton matricule et baisse les yeux.

-Oui Gardienne.

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