Battles. Partie 1. Rééducation. Phase trois.
Winger lui avait pris un rendez-vous avec une autre fille, longiligne cette fois et il le nargua. Refuser de la voir était impensable. Ne pas faire de compte rendu non plus. Chaque séance se terminait par une invitation à bien réfléchir. L'instructeur prenait des airs gourmands.
-Tu fais le tour de toi-même. Tu me dois d'être devenu si clairvoyant ! Je suis bon, je t'ouvre des perspectives et je ne t'empêche pas de baiser. Ta vie reposait sur une mauvaise hiérarchie des valeurs : ce n'est plus le cas !
Et il ajouta :
-Je me suis appuyé sur nos entretiens pour rédiger tes aveux. Il te faudra les signer. Ils sont obligatoires pour ton passage en phase trois. Ce n'est après tout que l'aveu de tes forfaitures...
Dans les jours qui suivirent, Paul passa par tous les stades, de l'apathie à l'exaltation. Il sentait qu'il allait signer des documents qui l'engageaient complètement, qu'il allait se renier et en le faisant, entraver l'action de la résistance. S'il ne signait pas, on le battrait ou le tuerait. La manœuvre de Winger visant à lui faire renier sa vie passé pour adopter de nouveaux idéaux.
-Tu deviendras un chantre du régime, un journaliste qui a su se repentir et parler différemment. Tu seras soutenu, tu seras acclamé. Sur Jorge Dormann, on en raconte tellement ! Ne crois pas que tu seras persécuté une fois réhabilité…Le Régime ne fera rien à quelqu'un de ta trempe, il a trop besoin de toi. Bientôt, tu nous auras tout promis. Tu pourras nous servir. Et de toute façon, tu auras ton Instructeur à tes côtés !
« Je soussigné, détenu cinquante-quatre vingt-trois deux cent sept neuf DS, atteste avoir exercé les activités illicites suivantes... »
-Signe, Paul, signe.
Paul regardait les feuillets mais restait interdit. Winger, penché à son oreille, parlait froidement.
-Paul, je fais exécuter la dernière pute que je t'ai fourni si tu ne signes pas.
Il restait immobile.
-Je ferai en sorte de faire arrêter des civils qui avaient un vague rapport avec toi et ils seront fusillés. Si tu ne le souhaites pas, signe !
Outre l'horreur de ce qu'on lui demandait, c'était la fascination que le bel instructeur exerçait sur lui qui le crucifiait chaque jour davantage. Sous les vêtements réglementaires, le corps nerveux et presque aristocratique de son geôlier était une preuve de sa force. Des pensées l'agitaient. Il se disait souvent : "Je pourrais être comme lui, si altier. C'est un Seigneur, j'en serais un. "
-Signe. Tout est en route : ils mourront et qui se souciera d'eux ?
Et il signa. Winger exulta :
-Ah, enfin ! Avec toi, ça aura vraiment été un plaisir ! Je crois toujours que ça y est, j'ai tout annihilé en toi et non...Tu te redresses ! Mais ça y est, tu as signé tes aveux. Ta femme s'est enfuie mais tu pourras divorcer d'elle. Tes enfants sont en Amérique et ils n'auront rien de tes avoirs. De toute façon, tu les as reniés.
Il se tenait contre le mur, tout en noir, guettant les réactions de Paul. Celui-ci se mordit les lèvres et serra les poings, refusant de voir que le sourire de l'instructeur s'élargissait. Celui-ci s'approcha, effleura de la main la joue de Paul puis lui dit :
-J'aurais dû t'abattre si tu avais refusé mais j'ai su te convaincre. Remercie ton instructeur.
-Merci Instructeur Winger.
Le jeune homme était tout près de lui : il avait un cil sur la joue et Paul hurla intérieurement. Le lui retirer aurait ressemblé à un aveu criant de désir. Mais portant une main à son visage, Markus y trouva lui-même le cil et le tint entre ses doigts.
-Oh, regarde ! Ouvre ta main, détenu !
Et il l'y déposa en fixant Paul sans se départir de son sourire. Et il ajouta :
-Phase trois.
Elle commença par une opération dite bénigne dont on ne lui dit rien. Elle serait suivie d'une autre un mois après puis d'une dernière en fin de parcours. Dans chaque cas, Paul se remettrait très vite. Il acquiesça et ne posa pas de question. On ne lui ne demanda plus de travailler mais d'occuper un bureau et d'y écrire l'inverse de ce à quoi il avait cru. Il devait lire son travail à Winger et déclamer ensuite ses textes. Il s'occupait aussi de communications internes à la prison, rien de crucial, rien que des propositions de banquets ou des meetings sportifs pour les membres de l'encadrement.
On lui demanda parallèlement de faire du sport en salle et il devait voir un masseur et un kiné. De plus, des médecins expérimentés s'occupèrent de son visage et de son corps et il eut belle allure.