Battles. Partie 1. Rééducation à Etoile. Phase 2. Paul dans l'embarras.
La seconde période commençait mal et dans les temps qui suivirent, ce fut pire. Tout s'estompait. Paul perdait le fil des jours et des heures. On l'avait encore changé d'atelier et cette fois, il mettait des biscuits dans des boites. Chacun portait des masques et personne ne parlait d'autant qu'une musique tonitruante envahissait les salles de travail dès son arrivée et ne s'arrêtait jamais. C'étaient des airs militaires, des hymnes...Le trajet entre ce nouvel atelier et le bureau de Winger était long et celui-ci s'était mis à le convoquer pour un oui pour un non, ce qui acheva de le déstabiliser. Paul, malgré tout, ne se trompait plus jamais sur les couleurs des vêtements à porter en fonction des semaines, prenait toujours ses traitements. Il avait belle apparence malgré les coups reçus car à Étoile, on utilisait de puissants cicatrisants qui rendaient vite invisibles les traces de maltraitance. Le détenu en gardait la mémoire mais il lui était impossible d'aborder le sujet devant celui qui niait tout. Je t'aurais cravaché au visage et on ne verrait plus rien ? Qu'est-ce que tu me chantes ? Attention, détenu, tu cherches à me mettre en cause ?
sur ses gardes, il était ponctuel aux rendez-vous de Winger et parlait beaucoup. Celui-ci avait réussi une fois encore à le retourner. Paul avouait avoir quitté sa solide position de journaliste adulé pour poursuivre un idéal un peu fou. Il avait voulu être le garant de la vérité, celui qui dénonce une dictature car il en connaît tous les secrets. Il avait encouragé la violence et l'aveuglement...Fin stratège, Winger alternait questionnement sur la vie publique et interrogations privées. Sans qu'il le voulût vraiment, Paul lui permettait de savoir quel jeune homme amoureux il avait été, quel mari, quel père et quel amant. Il en disait sur sa sexualité bien plus qu'il ne le croyait et quand il lui venait des moments de lucidité, il avait peur d'en avoir tant dit. Du reste, Winger finit par lui faire remarquer qu'il était paradoxal :
-Avant d'être en cavale, Paul, tu as eu beaucoup de femmes en dehors de ton épouse légitime.
-Oui, instructeur, je sais, c'était mal...
-Ta femme était revêche, désagréable et qui plus est, assez laide !
-Mais non, je...
-Quoi ? Pas de seins, une touffe rousse ! Évidemment que tu es allé vers de belles femmes...Cela m'amène à une remarque de fond. Je vais te faire relire ce que tu m'as dit lors d'un de nos entretiens. Tu aimes les femmes pour leur force sexuelle et une certaine sauvagerie qu'elles ont et qui te plaît mais dès qu'il s'agit d'admirer, de s'inspirer de, de copier, de s'aligner sur, tu te tournes vers les hommes. Ça commence avec ton père et ça continue avec des enseignants que tu as eus, des écrivains, des philosophes, des journalistes...Et tu sais quoi ? Tu aimes la virilité, le courage, le sacrifice...Tu aimes l'aplomb et la solidité. J'ai là une lettre de ton frère, celui qui nous sert si bien. Il te décrit exactement comme je le fais : épris d'Alexandre le Grand, de César, de Shakespeare, de Napoléon, ou encore de Bismarck. Il dit que tes amitiés masculines étaient sélectives et très fortes quand tu étais enfant et que...enfin...Comment te dire ça en te ménageant...Il le faut car tu as fait de si grands progrès...Bref, il dit qu'à son avis, tu as pris femme par convenances sociales. Il en est allé de même de tes maîtresses que tu as collectionnées pour affirmer ta virilité. Tu t'es menti.
Winger eut un sourire perfide : il était prêt à poursuivre.