Paul, qui s'est mis à écrire sur les méfaits de la dictature qui sévit dans son pays, devient un homme public.
Les journaux à grand tirage parlaient de lui et il accepta de participer à une émission littéraire, à la radio, il est vrai...A l'école de journalisme où il enseignait toujours, ses cours, déjà recherchés, furent littéralement pris d'assaut et on lui offrit même une chronique dans un hebdomadaire anglais, qu'il accepta. A partir de là, il n'était pas difficile de comprendre qu'on chercherait davantage à savoir qui il était. On découvrirait où et pour qui il travaillait, quel était son statut marital et quelle femme il fréquentait... On trouva des photos de lui à des âges divers et sur internet, elles furent faciles à contempler. Encore tout jeune, il était à Berlin ou à Londres pour ses études et souriait, dans le bel élan de sa jeunesse. Il était enfant et posait à Dannick avec son père. Dieu du ciel ! Où avait-on déniché cette photo ! Ainsi que celle où il posait avec ses frères ! Tiens, sa mère était au piano et c'était il y a si longtemps ! Et là, il était avec sa femme quand tout allait encore bien. Quelques fanatiques de son œuvre pourtant réduite faisaient des photos sur You Tube et les commentaires fusaient. Dans certains cas, on commençait à lui faire dire ce qu'il ne disait pas...En des temps où tout passe par l'image et la surexposition, les réticences de Paul à se montrer et à s'exprimer en dehors de l'espace de ses livres, parurent très séduisantes. Il se promit de ne pas céder puis le fit et commença à le regretter. Sachant que s'il ne publiait pas avant un bon moment, l'intérêt qu'il avait suscité retomberait, il pensa au texte qui complétait la trilogie. Il avait eu du mal à l'écrire et savait de toute façon qu'il lui faudrait l'améliorer. Il avait bien parlé de rééducation mais peu des rééducateurs et surtout très mal du sien. Ce livre qui parlait de lui tel qu'il était. Le mettre à jour n'était pas si compliqué. Cependant, au bout de deux tentatives, Paul s'arrêta. Ses pressentiments négatifs se consolidaient. La dictature de Dormnan, malgré les sanctions prises, ne s'effondrait pas. Les arrestations n'étaient moins nombreuses que parce qu'elles n'étaient pas faites de la même manière. Et puis, un dictateur a toujours des soutiens solides et ici même, en Angleterre, celui-là en avait. Et des voix s'élevaient désormais pour dire que Paul affabulait. Ces exactions ? Cette prison ? Ah oui certes, on ne laissait pas tout faire en Ambrany mais il fallait avoir un esprit bien enfiévré pour décrire sa patrie de cette façon. Rééduquer et non tuer ? Était-ce vraiment contestable ? Des témoignages radicalement opposés à celui fourni par les opuscules de Paul Barne pouvaient se trouver...