1.Un livre à traduire, deux femmes et des pièges.
Il n'y avait plus de raison de différer la traduction de Kalantica mais Paul préféra au traducteur proposé par lady Brixton une traductrice qui l'avait contacté.
«Je suis ambranienne et connais bien cet auteur. Ce serait un bonheur. »
Eva Richardson, une quinquagénaire qui vivait depuis longtemps en Angleterre était née, comme lui, à Marembourg. Elle avait fait de solides d'études d'allemand et de russe, ce qui lui permettait de s'être fait un nom sur le marché de la traduction. Elle alternait projets confidentiels et d'autres plus commerciaux et avait traduit les derniers romans de la prolifique Barbara Taylor Hartford. Cette dernière avait réussi à vendre près de soixante millions de livres dans le monde et à être traduite en quarante langues dans quatre vingt neuf pays. S'attaquer à son œuvre revenait à gagner de l'argent, Eva le savait. Mais ayant une personnalité ouverte, elle avait lu les interviews de Paul Barne et le savait cultivé. S'il lui venait l'envie de faire connaître la littérature de son pays, quasiment inconnue au Royaume-Uni, elle le suivrait. Ils se donnèrent rendez-vous dans un salon de thé.Pas très grande, replète, Eva Richardson portait ce jour là un tailleur dans les brun doré peu seyant mais elle dégageait beaucoup d'énergie.
-Traduire Horic Hortiz et Pavel Evdon ?
-Oui, j'ai besoin d'un spécialiste de la traduction.
-Je comprends. J'espère que le fait que j'ai traduit des romans à l'eau de rose ne va pas vous égarer.
-Non, vous m'avez envoyé vos références. Et Hedgehood, l'éditeur, doit les connaître aussi. Vous êtes chevronnée.
-Mais j'ai traduit Barbara Taylor Bradford, une dame qui a un vrai univers et vend énormément de livres. Ne vous laissez pas dire que je me suis spécialisée dans la littérature facile.
-Non, pas du tout.
Eva était la veuve d'un ingénieur anglais qui l'avait éloignée de sa formation de traductrice. Pendant de nombreuses années, elle avait mené une vie oisive puis sa passion pour son métier avait été la plus forte. Elle était précise et travailleuse.
-Il vous faudra résider à Londres.
-Ce ne sera pas un problème pour moi. J'y ai un peu de famille.
-Vous êtes née à Marembourg, comme moi !
-Oui et nous avons le même âge.
-Avez-vous souvent l'occasion de parler notre langue ?
-Eh bien, rarement. Voilà, mes parents avaient un bel hôtel restaurant dans le temps et j'ai décidé d'étudier les langues étrangères car, à l'origine, je ne pensais pas vivre ailleurs qu'en Ambrany. L'été de mes vingt ans, j'ai rencontre un Anglais qui venait passer ses vacances dans notre pays, sac au dos. Il n'était pas très argenté mais mes parents l'ont eu à la bonne et lui ont donné de petits travaux de réparation à faire dans l'hôtel en échange d'une chambre plutôt spartiate au ré de chaussée. Il m'a plu et je lui ai plu. Un coup de foudre, si vous voulez. Bien sûr, il n'est pas resté mais notre séparation était trop dure : il est revenu. Finalement, il a demandé ma main.
-Et vous êtes partie vivre avec lui !
-Oui. J'étais très jeune à mon arrivée en Angleterre. Il y a un peu plus de trente ans, rien n'était pareil. On m'a donné des équivalences de diplômes et j'ai pu poursuivre mon cursus. Arthur, lui, a fait des études d'ingénieur chimiste. Nous allions souvent en Ambrany. Il a appris la langue. Évidemment, quand nos deux filles sont arrivées, c'est devenu plus compliqué mais on a continué. Enfin, pendant certains temps car j'ai lâché des années durant. Et puis, de nouveau, j'ai réussi à décrocher des contrats et à traduire des auteurs. Mais votre question était : est-ce que je parle quelquefois l'ambranien ?
-En effet.
-Depuis la mort d'Arthur, non. Personne ne parle cette langue à York.
Elle était contente de s'être bien habillée car ce Paul Barnes était plutôt bel homme. Il avait ce charme un peu méditerranéen des Ambraniens du sud. Et il avait une belle voix chaude.
-Mais, et vous, monsieur Barne ?
-Il aurait fallu que je fasse des efforts pour frayer avec les associations d'Ambraniens qui sont actives à Londres mais je les ai échaudées dès le départ. Donc, avec vous, je redécouvre le plaisir de parler ma langue...