EXTASE EFFROI

Daphne, l'amante de Paul est furieuse : elle a appris la liaison de celui-ci a avec Eva, sa traductrice. Paul se sent piégé par des forces qu'il ne contrôle pas.

Quand il revint, et qu'il se retrouva seul chez lui, il trembla. On avait glissé une enveloppe blanche doublée de rouge sous sa porte. Au milieu d'une page blanche, il lut deux mots clairs.

 

Ah Ah !

 

Il se comportait comme un tortionnaire, lui, l'homme intègre et respecté. Il faisait le jeu du cavalier blond dont il savait bien qu'il était Winger et il le faisait plus sciemment qu'il ne se l'avouait. C'était pitoyable. Il se résolut à se faire violence et prévint Eva.

-J'ai d'importantes raisons ne pas poursuivre.

-La traduction n'est pas terminée.

-Je le sais. Il reste un cinquième du texte. Nous pouvons faire autrement. Nous travaillerons séparément et nous enverrons nos versions. Et nous ferons chacun un relecture générale.

-Je ne crois pas que vous puissiez agir ainsi.

-Eva, si, j'ai de très bonnes raisons. Je me comporte fort mal. J'ai une compagne. Vous devez comprendre.

-Tu me vouvoies ! D'importantes raisons ! Je sais bien qui tu es, je t'ai débusqué et nous nous reverrons.

-Non, pas de cette façon.

-Tu veux ta bonne chienne !

Elle tourna autour de lui et fit tant et si bien qu'il termina assis sur un fauteuil, jambes écartées. Elle s'agenouilla et lui donna du plaisir. Elle était vraiment experte, il en suffoqua. Elle resta encore et il la prit. Une fois apaisée, elle chercha à le convaincre :

-Voyez comme vous avez déchargé ! Un sperme très abondant ! Nous devons poursuivre.

-Non.

-Je sais vous faire jouir. Je vous donne ce dont vous avez besoin. Vous ne pouvez vous épanouir que dans le contrôle de l'autre et son humiliation. Allons, je lis cela en vous. Vous agiriez mal en vous écartant de celle qui vous comprend si bien et vous permettra d'atteindre les confins de la jouissance. Avec moi, vous êtes pleinement vous même. Attendons un peu et de nouveau, vous voudrez. Ce sera une nécessité.

Ils attendirent. Elle avait raison.

-Eh bien vous voyez ! Vous avez su être dur et me prendre encore !

Il ne pouvait que se rendre à l'évidence. Cependant, sentant l'urgence, il fut très sec quand il la revit. Il la mit à la porte. Elle récrimina à peine mais lui jeta un regard mauvais. Il ne rétorqua rien et alla voir Daphne. Elle avait de soupçons depuis un moment mais ne disait rien. Prétextant qu'il se montrait moins attentif et aimant avec elle, il décida, voulant la choyer, de l'inviter à dîner dans un grand restaurant. Il la charma. Il redevint l'homme à l'esprit affûté avec lequel elle aimait échanger, ses yeux bruns brillant d'intelligence et ses belles et larges mains dessinant des figures inédites dans l'air tandis qu'il parlait. La nuit, également, il fut très ouvert à elle et lui fit l'amour avec cette même sincérité qui l'avait subjuguée. Toutefois, elle le questionna :

-Quels sont tes rapports avec cette traductrice ?

-Elle me tournait autour, tu avais raison. Nous ne nous voyons plus, travaillant par mails.

-Ah !

Elle parut convaincue et il fut soulagé. Eva écartée, Daphne rassurée, tout semblait aller mieux. Il était actif et bien perçu dans son école de journalisme et toujours bienvenu quand il envoyait un papier à un journal. Et son image publique était intacte. Son soulagement fut de brève durée. Son amoureuse anglaise demanda à le voir chez elle. Elle était ulcérée.

-Donc, elle te convient ?

-Mais qui ?

-Qui ? Madame Richarson. Ne nie pas. Tu as une affaire avec elle. Non mais tu l'as vue !

Suffoqué, il nia maladroitement. Elle le gifla.

-Et ça ?

-Qu'est-ce que c'est ?

-Une lettre anonyme !

Paul resta interdit.

-On te l'a envoyée ?

-On l'a glissée sous la porte. Ce doit être elle, cette grosse maligne.

Paul prit la lettre et reconnut le procédé. Enveloppe blanche doublée de rouge. Feuille pliée en quatre. Texte en anglais sorti d'une imprimante.

 

Ton Paul te trahit quotidiennement. Que crois-tu qu'il fait avec elle ? Alors, jolie pouliche, tu t'étonnes encore qu'il couche moins avec toi ?

 

-Ce n'est pas signé.

Daphne s'assit rageuse.

-Moi, je croyais que ton objectif était d'offrir à Pavel Evdon la meilleure traduction possible en langue anglaise d'un de ses plus beaux romans.

-Mais c'est toujours mon projet !