Paul et son épouse Lisbeth arrivent à Bath car il est devenu urgent de s'éloigner de Londres.
Quand eurent lieu les premiers entretiens, Lisbeth était toujours là et le soutenait mais bientôt, il céda aux injonctions du psychiatre qui voulait le loger seul dans un aile tranquille de la clinique. Sa femme prit bien les choses. Avec naturel, elle lui dit :
-Le théâtre Royal ? L'abbaye de Bath ? Les Thermes ? Les boutiques ? J'ai déjà tout vu et j'ai pris les eaux, mangé dans de bons restaurants et vu de beaux spectacles. Ah et j'ai traîné un peu partout avec Jane Austen Charles Dickens et Thomas Gainsborough. Ils ont aimé cette ville, tu le sais !
-Tu es philosophe. Je te demande pourtant de partir...
-Ce psychiatre à qui tu trouves probablement l'air un peu fou est ta chance. Tu le sais.
Il quitta l'hôtel pour la clinique reculée. Très vite, on le cantonna dans un bâtiment très paisible. On l'avait comme séparé des autres. Surpris d'abord par cette façon de faire, il en vit les bienfaits. Au delà du petit lit, des couleurs neutres des murs et des blancs rideaux qui filtraient la lumière des fenêtres, il y avait la possibilité de faire sien un lieu où, après tout, on lui avait apporté ses affaires. On lui avait rendu son ordinateur et son téléphone. A Lisbeth qui prenait congé, il dit :
-Tu pourrais passer chez moi ?
-Naturellement. Si on a touché à quoi que ce soit, je te le dirai. Et je te ferai suivre ton courrier.
Travailler avec Sheffield s'avérait passionnant. Suivant ses dire, celui-ci travaillait la dimension psychologique, mémorielle de l'individu mais aussi la dimension humaine et spirituelle... C'était un analyste passionné qui travaillait dans les normes strictes de la psychiatrie mais les dépassait souvent. Son patient était Paul Barne. Il savait que son histoire était singulière et que les menaces réelles qui pesaient sur sa vie.
-J'ai lu le récit que vous avez fait de votre évasion. Il y a bien des cinéastes anglais qui seraient enthousiastes à l'idée de filmer la scène.
-Malheureusement, je ne me souviens très mal. J'étais convoyé vers Dannick quand les partisans sont entrés en action. La fusillade, les morts de part et d'autre, on m'a dit mais tout est brouille comme mon séjour avec les partisans.
-Et la Suède ?
-Je recouvrais la mémoire. Je me souviens clairement de mes derniers temps là-bas.
-On vous a déclaré guéri ?
-Mes chirurgiens vous ont sans doute écrit. Physiquement, ils ne pouvaient aller plus loin. Ils pensaient, le dernier du moins, à une empreinte psychique qui pourrait contrarier mes desseins...
-Quels sont vos alliés en Angleterre ?
-Le plus important à mes yeux est ma femme dont je suis resté séparé pendant des années et dont je devais divorcer. Et j'ai des collègues journalistes qui sont de bons amis. Il y a aussi mon fils qui est en Amérique et qui est régulièrement en contact avec moi. Il me rend visite aussi.
-Vous êtes arrivé ici plein d'espoirs : que vouliez-vous ?
-Dès que je suis arrivé ici j'ai voulu que ma vie serve l'Ambrany. Pas celle qui existe aujourd'hui mais celle que je voudrais voir revivre. Je me suis engagé dans ce que j'ai écrit et j'ai attaqué une dictature. Le fait que j'ai parlé m'a attiré des soutiens mais aussi des inimitiés.J'ai fait beaucoup de rencontres et notamment celle de deux femmes. Il semble que l'une ait cherché à me nuire et que j'ai laissé l'autre se heurter à une situation difficile...
-Deux liaisons donc...
-Oui. Ma femme est arrivée en Angleterre avant moi. Sans être divorcés, nous sommes éloignés l'un de l'autre après des années de séparation forcée. Je ne vivais plus rien d'intime en tant qu'homme, je voulais retrouver cela : l'approche, l'émotion, le désir, l'inclination...
-Et qui avez vous rencontré d'abord ?
-Une jeune anglaise, Daphné. Elle est très séduisante et je me suis attachée à elle. Elle vient d'une famille aristocratique apparemment très artiste. Voyez-vous, je suis tombé sous son charme mais quand il fallu traduire Kalantica, j'ai travaillé avec une traductrice avec qui j'ai eu une liaison soudaine, très charnelle.
-Cela pouvait vous rassurer.
-Non car j'ai heurté Daphne en ayant une aventure avec cette femme étrange. Ça pouvait être du vaudeville mais hélas, non. Tout était très violent. J'éructais, commandais, possédais...
-Cette traductrice aimait cela ?
-Elle était demandeuse mais c'était une situation forcée, artificielle...
-Et cette jeune anglaise a saisi que vous la délaissiez ?
-En un sens. J'ai cherché à rester le même avec elle mais elle est devenue défiante.