WINGER BATTLES

A Londres, dans un bel hôtel, Paul l'exilé retrouve celui qui l'a torturé dans son pays, à la prison Etoile. Retrouvailles combien ambigues...

L'Instructeur se raidit. Il ne souriait plus. Il était resté rusé et avilissant.

-Si on buvait quelque chose d'un peu plus revigorant ? Voyons-voir.

Il ouvrit le frigo et claironna.

-Ah du whisky ! Je te sers ?

Il tournait le dos et Paul, puisqu'il avait le champ libre le mit en joug brièvement puis se reprit. Ce n'était pas le bon moment. Ne se retournant, pas, l'instructeur, occupé à préparer des verres, continua :

-Tu n'as pas raison : le pouvoir, c'est moi qui l'ai.

Winger s'était retourné.

-Tiens, tu prends sans glace, hein ?

-Oui.

-Tu me fais vraiment sourire. Bon, on va commencer...Tu en meurs d'envie de toute façon. Depuis que tu es en Angleterre, tu peux me dire combien de jours se sont écoulés sans que tu penses à moi ? Un tout petit nombre, n'est-ce pas ! Regarde-toi : portant un beau complet neuf, rasé de prêt, bien coiffé. A quoi ressembles-tu ? A un homme qui attend une femme pour coucher avec elle ? Tu aurais peut-être cet apprêt mais pas cette incertitude...C'est moi que tu attends car c'est moi que tu veux. A Étoile, quand je t'ai vu, j'ai vite compris comment te river à moi. C'est viscéral, tu n'y peux rien...Et tu veux que je te dise ce qui est le pire ? Ces partisans qui t'ont enlevé t'ont théoriquement rendu service car tu peux maintenant dénoncer les exactions commises dans ton pays ! Sauf que toi tu regrettes au fond de toi qu'ils soient intervenus. Parce qu'en moi, tu as la seule personne qui te possède complètement car elle sait tout de toi. Tu ne veux pas que je sois mort. Ton livre ne vaut rien rien  à partir du moment où tu as cette nostalgie! Assure ton enterrement littéraire et idéologique ! Écris ce qui doit l'être : ce fasciste exemplaire, pourquoi l'a-t'on exécuté ? Je l'aimais !

Paul pensa qu'il était à terre. Tant de lumière soudain, d'un éclat insoutenable...Markus avait les cheveux courts, les épaules solides et une nuque presque gracile, extrêmement émouvante.

-Tu as toujours su que je reviendrais quand tes appels seraient suffisamment puissants. Tu m'aimes, je le sais. Deux possibilités, deux. Je te dis lesquelles ?

-Je vous en prie, Instructeur.

-Tu effaces toute trace ce ce livre et bien entendu tu renies tout ce que tu as dit et écrit. Tu regagnes l'Estrerie. Je suis avec toi. Ou bien tu insistes et tu meurs. Tu as bien écrit que j'étais un tueur, non? Tu as raison : j'en suis un.

-Je suis allé trop loin. Je ne reculerai pas.

L'instructeur allait et venait dans la pièce, son verre à la main. Il s'arrêta et regarda distraitement par la fenêtre. Cette fois, Paul se sentit prêt. L'angle de tir était bon. Il mit l'instructeur en joug. Celui-ci se retourna soudain et le toisa. Aucun muscle de son visage ne bougeait. Il faisait face avec une violence contenue qui le rendait fascinant.

-Tu fais quoi là ?

-Je vais tirer.

-Mais tire.

Paul visa mal. Une balle partit qui frôla l'épaule de Winger et une autre qui partit dans le vide.

-Non mais ce n'est pas vrai !

Winger riait.

-Laisse ça. Viens boire ton whisky. Viens, Paul, viens complaire à ton instructeur...Tu sais, il y a une possibilité intermédiaire.

Il gagnait du terrain, si parfait dans son incarnation du mal qu'il était douloureux de soutenir son regard.

-Tu te désapes et on le découvre ensemble, le vrai sens de la vie...Tu ne cesses de m'en faire la demande dans ton for intérieur ! Ma réponse est claire et pour toi, elle est parfaite. On va au lit ?

-Non.

-Alors, tire !