paul POSSIBLE

 

Paul s'est insallé à l'hôtel à Londres pour une ultime confrontation avec le fantôme de l'instructeur Winger. La confrontation avec celui-ci tourne à son désavantage...

Non.

Paul tira encore. Cette fois, une balle blessa légèrement l'instructeur à l'épaule. Il fit mine d'avoir très mal et Paul, stupéfait, baissa sa garde. Winger se précipita sur lui, le désarma et le fit tomber à terre. Il avait lui-même sorti son arme et l'avait placé sur la tempe de Paul.

-Alors ? Tu es là où tu dois être. Avec moi. Proche de moi mais inférieur. Je t'ai appris à ne rêver que de cela. Tu as oublié ? J'ai su avec toi, très vite, j'ai toujours su...

-Vous avez toujours « tout » su pour moi, Instructeur, c'est bien là le problème...

-Parce que ça marche comme ça détenu DS. Cinquante quatre vingt trois. Deux cent sept neuf. Qu'est-ce que tu crois être aujourd'hui sinon la continuation de ce matricule ?

-Mon livre sera publié quoi qu'il arrive et ma femme a déjà envoyé un certain nombre d'articles à la presse. J'étais plus silencieux, quelque peu discrédité mais vous tirez et je me hisse à la position de héros.

Winger s'était couché sur Paul; il le menaçait toujours mais tenait son visage très près du sien.

-Qu'est-ce que tu crois ? On est des centaines et des centaines à la surface de la terre. On a tous les pouvoirs ! Tu as toujours été pathétique, avec tes croyances puériles sur la démocratie et la liberté ! Heureusement, il avait cette dévotion que tu avais pour moi ! Pardon, que tu as toujours !

-Je n'en veux pas.

C'était fini, il allait mourir. Mais on frappa brusquement à la porte et on appela. Winger fit signe à Paul de se taire mais une voix se fit entendre.

-Monsieur Barne, c'est le service d'étage.

Interdits, aucun des deux hommes ne réagit. La voix se fit insistante.

-Monsieur Barne, êtes-vous là ?

On devait avoir entendu des coups de feu  et on venait aux nouvelles...Avant même qu'ils réagissent, on mit une clé dans une serrure et on s'annonça. C'était une voix féminine. En un rien de temps, l'instructeur reprit son revolver et fila dans la salle de bain tandis que Paul se précipitait vers la porte. Il se trouva nez à nez avec une jeune fille qui rougit violemment.

-Mais il y a quelqu'un ! Vous avez demandé des serviettes supplémentaires. Je pensais les déposer sur votre lit. 

-Je n'ai rien demandé. C'est une erreur.

-Ah oui, certainement. Je suis désolée.

-Ce n'est pas grave.

Il était placé de façon à ce qu'elle ne put rien voir de sa chambre. Elle était embarrassée mais pas inquiète, ce qui le rassurait sur l'image qu'il lui renvoyait. Elle partit. Tout allait recommencer. Paul sentit sa tête tourner et se dit qu'il avait peur. Soudain, la pièce parut s'emplir d'un étrange brouillard et il lui sembla que tout devenait insonore. Il but son whisky d'un trait, récupéra son revolver et resta calme. Quand l'instructeur se remit face à lui, son apparence, très matérielle, parut soudain se fragiliser. Des lambeaux de lui subsistèrent comme s'il n'existait plus tout entier. Avec force, Paul cria :

-Mais tu existes à peine !

Et de nouveau, l'image du jeune soldat se délava. Cela rassura celui qui avait été Battles. Il se prépara à tirer.

-Vous ne toucherez ni à ma vie ni à mon œuvre ! Et surtout pas à ce texte ! Il va y avoir un coup d'état en Ambranie...Dormann va tomber. La démocratie va revenir.

Une voix lointaine lui répondit :

-Que valent les écrits d'un antifasciste fêté et applaudi quand il en vient à ressusciter son tortionnaire ? Tu n'as eu de cesse de combattre un régime que tu as honni mais tu m'as laissé t'envoyer des émissaires avant de venir jusqu'ici ! C'est ça, ta liberté ? Le nouveau président se fera tuer lors d'un bain de foule et sous couvert de remettre de l'ordre, l'armée fera le ménage et virera l'intérimaire qu'on aura mis à sa place ! Tu ne veux vraiment rien comprendre, toi !

-Instructeur !

La pièce était toujours brumeuse. Malgré tout, Paul s'accrochait à son revolver et dans un entrelacs de lumière, Winger réapparut, toute sa force retrouvée... Il retira ses vêtements et quand il fut nu, il provoqua Paul du regard. Il était très beau et son excitation physique était visible. Incroyablement séduisant et totalement hilare, il s'avançait maintenant vers lui.

-Viens.

Paul tira et l'instructeur chancela. Il s'était approché de lit et y tomba brusquement. Il resta étendu les bras en croix et les jambes écartées tandis que Paul, toujours armé, s'approchait de lui. Il restait magnifique alors même que le sang commençait à ruisseler sur son beau corps, inversant toute valeur. Un superbe gisant...Que comprendrait-il à cette mort, celui qui avait su la donner à d'autres qui ne savaient pas se défendre ou étaient aux abois ? Rien sans doute sinon qu'il butait sur une fin cette fois inéluctable. Rageur, Paul le contempla avec dureté :

-Vous mourez Instructeur.

-Toi aussi, plus tard, tu vas mourir de ton idéalisme...

-Je crois que ce sera après toi...Du reste, tu es venu... tu savais...

Le beau visage se crispa et la voix aussi changea, plus rauque :

-Je savais quoi ?

-Que ce serait ta seconde mort. Un guerrier comme toi qui se laisse prendre ! Où est ton arme ?

-Mon arme ?

De façon surprenante, Paul n'entendait aucune galopade dans les couloirs et personne ne frappait à la porte. Pourtant, dans un établissement de ce genre, il y a toujours beaucoup de vigilance de la part du personnel.

-Battles, tu m'aimes, pas vrai.

-Même si c'était vrai, qu'est-ce que ça changerait ?

Winger mourait assez vite. Ses yeux, grand-ouverts, se figèrent et il y régna un bleu glacial. Et il n'y eut plus alors que le silence.