10 novembre 1

Revenu d'exil, Paul Barnes retrouve son pays et cette fois il connaît les honneurs...

Et puis, les honneurs attendaient Paul. Une après midi, il eut rendez vous avec Eduardo Calman. Celui-ci le reçut au palais présidentiel dans le bureau même où Jorge Dormann avait lancé tant d'ordres assassins...La décoration, à ce qu'il comprit, avait été modifiée ainsi d'ailleurs que tout l'agencement de la pièce. Tout en brun doré et en rouge sombre, orné de tableaux et de quelques miroirs, dotée d'une belle bibliothèque, la pièce répondait à un impératif simple : signaler que l'ambition et le bon goût étaient au pouvoir. Calmann avait surpris tout le monde en se montrant particulièrement organisé et convaincant, l'année qui avait été de celle de l'agonie de Dormann. Il était certes le chef incontesté d'un parti de gauche qui ne manquait pas de soutiens mais on lui accordait peu de crédit. Un beau parleur doublé d'un homme de salon. La façon dont il avait géré l'éviction du dauphin en contraignant l'exécutif moribond et les deux chambres à valider une élection au suffrage universel tirait l’admiration. Élu à une écrasante majorité selon des moyens démocratiques, il avait un important charisme personnel et des idées à revendre. On s'était trompé sur lui : c'était un homme de terrain...

L'entretien qu'il eut avec Paul fut assez bref. Une cérémonie serait bientôt organisée pour que celui-ci reçoive l'hommage auquel il avait droit. On le décorerait. Beaucoup de ceux qui avaient résisté avaient trouvé la mort dans les geôles du dictateur ou face à un peloton d’exécution. Parmi ceux qui s'étaient enfuis, peu rentraient. Paul faisait donc un geste courageux et patriotique en délaissant une vie qu'il s'était reconstruite ailleurs pour revenir dans un pays où tout était à faire renaître. A la prolixe et synthétique flatta l'homme et ses multiples figures : le journaliste, le résistant, l'exilé, le pamphlétaire, le traducteur et le romancier...Paul était de nature humaine et celle-ci est prompte à accepter la flatterie. Il fut heureux de ces éloges et plus fier encore qu'elle sorte de la bouche d'un chef d'état. Quittant les ors et les fastes du bureau présidentiel, il gagna celui du premier ministre qui, plus pragmatique, l'informa des dispositions qu'on prenait pour lui.

-Comme vous le savez, vous pourriez être notre ministre de la culture. Vous m'avez écrit que vous décliniez cette offre et je vous propose de prendre la direction de l'école de journalisme de Dannick. Le précédent gouvernement l'a totalement réorientée, je ne l'apprends pas puisque vous vous êtes dressé contre ce type de traitement de l'information.Il va de soi que ce sera un travail colossal mais une nouvelle fournée d'étudiants attendent d'être formés autrement...

-C'est une proposition très honorifique.

-Avec votre passé et votre panache, vous êtes le candidat idéal pour ce poste.

-Monsieur le président, je serais bien sûr enchanté de prendre les rennes d'un tel établissement mais j'aimerais savoir si une troisième proposition existait.

-Bien sûr, dit le premier ministre. Comme vous l'avez constaté quand vous étiez encore parmi nous, la culture, dans ce pays, a été méprisée. On a relégué au second rang tous ceux qui ne voulaient pas se plier assez vite aux exigences du régime et on a envoyé en résidence surveillée de prestigieux créateurs car ils on dit non. Vous seriez à la tête d'un institut culturel qui aurait pour objectif la réhabilitation d'un certain nombre d'artistes qui soit sont morts soit ont reçu l'interdiction de s'exprimer. De ce fait, il vous faudrait organiser de nombreuses manifestations artistiques : expositions, représentations, projections...Et en dernier lieu, il faudrait donner leur chance à de jeunes talents que Dormann s'est amusé à ridiculiser. L'idée est de montrer aux Ambraniens qu'ils vivent dans un pays où la culture est vivante et non plus censurée. Il faut leur donner accès au présent de nombreuses créations et bien sûr, à leur patrimoine...

-C'est fascinant...

-Mais complexe, monsieur Barne. Le ministère de la culture est une antenne de bureaucrates qui planifient de grandes orientations et planifient des budgets. Vous, vous serez sur le terrain ! Bien sûr, vous vous entourerez d'une équipe compétente.... N'oubliez pas que la vieille garde est là et plaît encore. Ce ne sera pas simple d'échanger les rôles et de mettre au premier rang ceux qui, hier encore, attiraient l’opprobre. Beaucoup de procès ont déjà eu lieu et les fascistes les plus influents ont été mis à l'écart mais il y a tous les autres, ceux qui ont fait avec et parmi eux, bon nombre de créateurs réticents à changer leur vision...Ceci dit et c'est là où cet institut aura la part belle, vous aurez le bonheur de remettre à l'honneur tel compositeur, tel dramaturge ou tel peintre qui n'avaient que le droit de se taire...

Bien sûr, Paul n'était pas supposé choisir d'emblée. Il devait consulter deux dossiers qui tous deux étaient très complets et savoir à quoi il s'engageait...

-Les Ombres de la liberté est un très beau texte qui va bien au delà des deux essais déjà brillants que vous avez publiées auparavant. J'ai du le lire en allemand ! Les lenteurs dans notre pays ! Mais quel écrivain !

Des éloges de nouveau ! Paul les trouva à propos et sortit ragaillardi de ces deux entretiens. Battles reçu par le président de la république puis son premier ministre. Qui l'aurait cru...