ESMED POSSIBLE

C'était encore l'hiver quand il l'appela pour fixer une date. Il prit le train car elle le conseillait et attendit dans le minuscule hall d'une gare perdue. Une voiture noire vint le chercher et il s'installa à l'arrière. Il faisait ce jour là un froid minéral mais le soleil brillait. C'était ces temps froids de l'Ambrany où tout semble se paralyser. Rien de semblable en Angleterre où il n'arrive jamais qu'on soit à ce point contraints de déblayer la neige...A l'entrée du château, de hautes grilles s'ouvrirent et Paul pensa à ces contes pleins de sortilèges qu'avait écrits Magda des années auparavant. Il fut charmée par la façade du château. Une folie dix-huitième si gracieuse avec ses pierres bicolores ! Il s'attendait à être accueillie par la maîtresse des lieux mais une femme de chambre prit son sac de voyage et l'installa à l'étage dans une chambre somptueuse, tendue de bleu pâle. Quel roi était-il ?

-Madame est sortie. Elle ne devrait pas en avoir pour longtemps...

-Mais...

-Elle va vite revenir.

-En ce cas, je préfère attendre en bas.

Il demanda du thé qu'on lui apporta très chaud avec des pâtisseries qui lui rappelèrent celles que sa mère lui offrait quand il était tout jeune, à Marembourg. Comme personne ne venait, il regagna sa chambre. Elle était chaude et confortable. Ragaillardi, il voulut redescendre au ré de chaussée car il lui semblait y entendre la voix de son hôtesse mais une fois sorti de sa chambre, il trouva le couloir ombreux plein de mystères et eut envie de le parcourir. Les portes avaient beau être fermées, on vivait là bien qu'il n'entendît aucun bruit. Parvenu au bout du corridor, Paul constata qu'à l'encontre des autres, un appartement était visible. La porte en était ouverte et il découvrit un grand salon tendu de jaune. Derrière un canapé, une porte s'ouvrait sur une pièce tendue de blanc et nantie d'un piano à queue. Des partitions étaient posées ça et là sur des commodes et des consoles en bois précieux, de grande valeur. Il y avait une chambre aussi, précieusement meublée et dans un ordre relatif. Un lit à baldaquin en occupait une partie et un lustre en cristal pendant au plafond. Tout y était exquis des miroirs ciselées aux tableaux de maîtres...N'entendant personne, Paul s'y attarda, curieux de savoir qui pouvait y vivre puis il entendit du bruit dans la salle de bain. Il aurait pu faire machine arrière mais sa curiosité fut la plus forte.

-Il y a quelqu'un ?

-Oui !

-Je ne vois personne.

-Tu t'es décidé ! Tu es venu ! Je me lave. Viens.

C'était une jeune voix masculine, pleine d'enthousiasme. Paul profita de ce que la porte de la salle de bain était ouverte pour s'avancer. Il resta suffoqué devant ce qu'il vit. Une jeune homme nu, qui sortait de son bain, lui tournait le dos et s'essuyait les cheveux avec un beau drap de bain blanc et or.

-Tu m'as fait attendre mais tu as vaincu ta peur, c'est bien !

A qui croyait-il parler ? Pas à Paul en tout cas, qui se retint de répondre.

-Alors ? Tu ne dis rien.

Paul resta silencieux. Comme attendu, le jeune homme se retourna et resta stupéfait, ce qui le fit se couvrir maladroitement.

-Vous n'êtes pas Archad !

-Non, en effet.

Il ne put en dire plus car il était saisi. Le jeune homme était aussi blond que l'Instructeur et il avait les yeux du même bleu. Ça n'en finirait donc jamais ! Affolé, Paul retourna dans la pièce principale et l'inconnu, drapé dans son long drap de bain, arriva.

-Vous êtes qui ? Pourquoi êtes vous entré ?

-Paul. Paul Barne.

-Quoi !

-Je ne sais pas où est madame Egorff. On m'a installé à l'étage et je voulais redescendre pour l'attendre mais j'ai vu la porte de cet appartement ouverte. Je voulais savoir..

-Oh là là ! Oh là là non !

Le jeune homme paraissait confus et gêné mais c'est sans grand complexe qu'il ouvrit une armoire pour en sortir des vêtements. Tout en parlant, il jeta le drap de bain à terre et enfila des sous vêtements puis un pull et un pantalon bleu.

-Vous deviez arriver plus tard. Un quiproquo : vous êtes là et elle est à la gare ! Ça n'arrange pas mes affaires.

-J'ai compromis une rencontre...

Le jeune homme, qui paraissait ennuyé, redevint espiègle.

-Ah non en fin de compte ! Cet Archad ! Je pensais vraiment qu'il viendrait ! Il a du hésiter. Il est peut être intimidé ou alors, ça n'est pas sérieux pour lui.

-Je ne sais pas.

-Non, c'est clair. Alors c'est vous !

-Mon image est relativement connue...

-Je ne sais pas. En fait, je pensais que vous étiez moins imposant, moins beau. Mais franchement, vous l'êtes...

L'inconnu avait l'air sincère. Paul sourit puis se sentit oppressé. Ce corps fin mais musclé et ferme, cette blondeur, cette allure presque aristocratique...Comme c'était épuisant !

-Dites, ça va ?

-Oui...

-Non, vous êtes très pâle ! Je parle trop. Ce que j'ai dit sur votre physique...

-Non, il n'y a pas de mal.

Mais Paul vacillait et le jeune homme dut se précipiter pour l'aider à s’asseoir.

-Eh, dites, vous avez un malaise, là...

Paul se reprit aussi vite qu'il put et tenta de se reprendre.

-Je travaille énormément et ce voyage...

Le jeune homme s'écarta et revint avec un verre d'eau. Paul eut un haut le corps.

-Vous êtes trop prêt.

-Pardon. Je retire l'allusion que j'ai faite à votre physique. Je suis navré, vraiment.

Il s'était accroupi et regardait Paul. Il n'y avait rien de dur chez ce jeune homme qui le regardait avec sollicitude . Les similitudes physiques avec l'instructeur ne pesaient pas quand on s'apercevait qu'il s'agissait d'un enfant au ton mutin mais aux yeux un peu tristes.

-Merci pour le verre d'eau. Alors, vous attendiez Archad.

-Il correspond à mes goûts.

-Il ne pourrait correspondre aux miens. Je suis plutôt un homme à femmes.

L'inconnu s'était relevé. Assis sur un fauteuil, il enfilait des chaussettes et des chaussures. Après être repassé dans la salle de bain pour se coiffer et laisser le drap de bain, il s'approcha de Paul et lui sourit.

-Et maintenant, comment vous sentez-vous ?

-Je me suis repris.

-Je vois cela. Votre visage paraît plus serein.

Sa façon de faire était charmante. Paul sourit de nouveau.

-Au fait, qui êtes-vous ?

-Je m'appelle Esmed Keretz . Je suis un des pensionnaires de madame Egorff. J'ai fait le conservatoire. Je suis pianiste.

-Bien, c'est bien...

-En réalité, vous auriez du faire ma connaissance dans l'après-midi. Je ne devrais pas me trouver là. Mais c'est qu'il y a des ouvriers ici à cause de travaux d'agrandissement et je...C'est bizarre, je m'y suis bien pris pourtant !

Paul sourit.

-Vous aurez une autre opportunité.

-Ce n'est pas le sujet.

-Quel est-il, alors ?

-Magda, je veux dire madame Ergoff ne plaisante pas. Les présentations ne sont pas pour maintenant. Alors, je vais remettre de l'ordre et filer par l'escalier de service.

-Vraiment ?

-Vous ne m'avez pas rencontré. Hein, vous vous souviendrez ?

Ils s'étaient approchés l'un de l'autre.

Il n'a pas les mêmes traits, pas exactement, pensa Paul. Mais le front est haut, les yeux sont bleus et la chevelure a la même implantation. Par contre la bouche est différente, la carnation aussi. Ce n'est pas lui. Ce ne sera plus jamais lui.

-Oui, c'est entendu. Je suis monté me reposer et c'était tranquille.

-Vous pouvez descendre l'attendre. C'est plus simple pour moi ?

-Bien sûr, j'y vais.

Cette fois, le jeune homme riait.

-Important : Nous ne sommes pas rencontrés.

-Bien sûr que non.

Paul adressa au jeune homme un sourire amusé mais celui-ci devint grave.

-Donc, à plus tard, monsieur Barne.

-En effet, monsieur Keretz.