TAKORVSKI 2

 

Le départ pour la prison Etoile est décidé. Paul retournera sur les lieux de sa détention et Esmed, en compagnie de Magda Egorff, reverra sa famille exilée.

Il était prévu de partir trois jours afin que le choc ne soit pas trop violent. Quelques semaines passèrent et un jour, ce fut le départ. Paul qui avait coutume de voir Magda en tailleur ou robe élégante, il fut donc surpris et amusé de la découvrir en pantalon et pull-over, une confortable veste matelassée la protégeant du climat rigoureux des montagnes vers lesquelles il se dirigeait. Comme elle le faisait la plupart du temps, elle avait ramassé ses cheveux sur sa nuque en un chignon que maintenaient de petites épingles, et elle s'était fardée les yeux et les lèvres. Il émanait d'elle une assurance tranquille et une paix à laquelle il était très sensible. Elle lui faisait penser à ce halo du phare auquel les marins perdus se raccrochent dans la tempête et la nuit ou encore à cette Vierge stoïque que les Apôtres vénéraient au Cénacle. Il faudrait plus de cinq heures pour gagner Varra mais ils feraient des pauses. Ils verraient ensuite la famille d'Esmed puis Paul et Magda rejoindraient leur auberge. Le lendemain, il rejoindrait Étoile par des routes escarpées et sans doute encore difficiles. Le printemps qui éclatait dans la capitale n'honorait pas encore le nord du pays...En route, ils bavardèrent et vers treize heures, ils arrivèrent à bon port.

La bourgade où avaient été exilés les parents d'Esmed était d'une tristesse sans nom et la maison qu'on leur avait attribuée grande mais d'une laideur pesante. Madame Kerretz était sur le seuil. Elle n'était pas très grande, très mince et toute vêtue de gris. S'efforçant de faire bonne figure, elle souriait. Quand Esmed s'avança vers elle, elle lui parla comme s'il avait huit ans et lui caressa la joue.

-Tu t'es assez couvert, mon chéri ! Toi et tes rhumes...

-Je suis en forme, mère !

-C'est qu'il fait froid, ici !

Et se tournant vers Paul, que Magda lui avait présenté, elle ajouta :

-Esmed ne sait pas ce qu'est le froid ! Toujours sans cache col, sans gants, sans bonnet...Mais avec ça de grosses bronchites …

Ils entrèrent dans un salon meublé aussi bien que possible. Max, le père était souffrant mais Irina, la sœur aînée d'Esmed était là. Paul eut peine à croire qu'elle n'avait que vingt-huit ans tant sa mise était sévère et son air mélancolique. Elle avait les cheveux tirés en arrière et une robe stricte. Paul se dit que déjeuner avec ces deux femmes serait une épreuve mais il fut surpris. Contrairement à ce qu'il pensait, Inna, la mère, n'avait pas perdu tout contact avec la réalité.