4. Retourner à Etoile.
C'est Esmed, le jeune artiste, qui accompagnera Paul à Etoile et non madame Egorf.
-Me voilà.
-Je peux conduire Esmed.
-Elle ne préfère pas et moi non plus.
-Esmed, tu es jeune. Autant que j'y aille seul.
-Elle me tue si vous faites ça. C'est ce que vous voulez...
Le plus dur s'annonçait. La route grimpait dans la montagne et malgré la conduite souple du jeune homme, Paul sentait son estomac se nouer.
-Deux heures ?
-Je dirais trois, Paul. C'est escarpé. Le bout du monde.
Paul réfléchissait. Ils parlèrent peu. Les paysages qui se succédaient étaient austère. Ils pourraient être à deux avec un guide dans le labyrinthe de la prison. Ensuite, il devrait le laisser dans là où peu de temps auparavant vivaient encore quelques administratifs et bon nombre d'ouvriers qui transformaient la prison. Et là, pour la seconde partie de la visite, il serait seul avec un autre guide.
Comme il ne disait rien, Esmed tenta de le détendre :
-On dit qu'il y aura toutes sortes d'usines et de vrais ouvriers, pas des prisonniers. C'est intriguant d'imaginer ici une vie qui ne serait pas carcérale...Il pourrait même y avoir des naissances...
-Oui, c'est intrigant.
-C'est très dur pour toi. Paul, pourquoi veux-tu y aller ?
-Je te l'ai dit.
-Mais même...
Ils s'arrêtèrent à un moment. Un silence monumental régnait en maître dans un paysage de désolation.
-Même pas d'oiseau...
-C'est vrai.
Il fallut s'arrêter pour une vérification d'identité puis une autre. C'était pesant. On les regardait avec suspiçion avant de s'incliner. Ce ne serait pas fini. Même dans le périmètre d'Etoile, le scénario se répéterait. Paul se sentait plutôt victorieux; Esmed, lui, peinait.
Quand ils virent apparaître les hauts murs d'enceinte de l'immense prison, ils restèrent coi. Il fallut passer quatre enceintes successives avant de parvenir à de hautes portes. Deux émissaires les y attendaient. Paul et Esmed déclinèrent leur identité puis chacun entra. Ils seraient Paul pris en charge par un petit homme en costume gris et manteau passe partout. La cour intérieure était très vaste et devant eux, la prison formait une masse si compacte qu'on pouvait douter qu'elle eût une forme d'étoile. Un silence impressionnant régnait et figeait toute spontanéité. Les deux visiteurs échangèrent un regard puis montèrent dans un petit véhicule sans toit ni portières. A Étoile, les distances étaient vite importantes et Paul avait demandé à avoir une vue d'ensemble. Son gardien, un certain Maval Ersend le promena dans toute la parte émergée de la prison, là où se trouvaient les multiples ateliers de travail mais aussi les logements des personnels subalternes et les structures hospitalières. De temps à autre, Paul demandait à descendre et le gardien le guidait alors dans un dédale de salles et de couloirs. La plupart des machines étaient encore en place mais il manquait le bruit qu'elles produisaient ainsi que le bourdonnement des voix des contremaîtres et des gardiens. L'hôpital était encore tout équipé et il en allait de même de l'infirmerie. Quant aux petits logements des gardiens, dont certains y vivaient en famille, ils étaient exigus et déprimants. Le guide conduisit ensuite Paul au centre de l’étoile, là où se trouvaient toutes les instances administratives. C'est là que siégeait le directeur de la prison et ses adjoints, qu'on enregistrait les admissions et effectuait un tri. Le bétail, dans différentes branches de l'étoile, les politiques, cas rares à rééduquer dans une branche spéciale, bien équipée. C'est là aussi qu'on enregistrait les décès et qu'on écrivait des lettres factices qui, dès l'incarcération du prisonnier, rassuraient de loin en loin les familles jusqu'à ce que tombe un édifiant silence. Les armoires regorgeaient encore de dossiers, la mémoire des ordinateurs n'avait pas été vidée et d'immenses organigrammes étaient affichés sur les murs.