PAUL A ETOILE

Se rendre à Etoile des années après permet à Paul de se rendre compte de la complexité de cette prison. Il est surpris mais Esmezd, lui, est bouleversé.

-Vous avez l'impression que tout est là, lui dit le petit guide, mais c'est faux. Plus de la moitié des documents a été transférée à Dannick et bientôt, le reste suivra.

-La prison est fermée depuis deux ans.

-C'est la date officielle, oui. Elle s'était déjà vidée un peu avant mais ça a été compliqué...

-Oui, je me doute.

Esmed était livide et il fermait les poings.

-Tu vas bien ?

-Oui.

-C'est difficile pour toi.

-Et pas pour toi ?

-C'est un constat terrifiant.

Le bureau du directeur n'avait plus son mobilier mais dans d'autres, il était intact. Le réseau informatique était partiellement désactivée et dans beaucoup de salles réservées aux réunions de travail et au délassement des administratifs, il était inopérant, mais pas dans toutes. Il existait donc bien encore une mémoire vivante, un fichage...

-Vous ne pouvez pas toucher aux appareils ici, mais monsieur Alstrohm, qui va vous recevoir ensuite, vous donnera accès à certaines données...

-C'est très bien comme ça.

Paul tourna longuement dans les couloirs et les bureaux puis fit un signe de tête. Il en avait terminé. Esmed, qui ne disait plus rien, redevint questionneur.

-Tu savais tout cela ?

-Non, pas tout.

-Pourquoi ?

Je n'étais qu'un détenu. On me droguait et me battait.

-Alors de quoi t'es-tu rendu compte ?

-L'immensité, les catégories de prisonniers, le fait que certains disparaissaient, la violence...

C'était maintenant le jeune pianiste qui était le plus pâle. Ersend le conduisit cette fois dans la zone des appartements privés des gradés de la prison. Les directeurs y avaient vécu là, en famille mais aussi certains privilégiés, dont les instructeurs de première classe les plus méritants. Une bonne partie du mobilier avait disparu mais ce qui restait donnait une idée de la vie confortable et facile qu'on avait pu mener là, tandis que bon nombre de prisonniers s'entassaient dans des dortoirs rudimentaires et mal chauffés.

-Qui logeait ici ?

-Le directeur avec sa famille, le sous directeur, deux ou trois administratifs de haut niveau et les instructeurs de première classe. Ils n'avaient pas droit à des logements aussi beaux mais tout de même !

-Montrez-moi...

Le dernier directeur en date avait vécu là avec son épouse et leurs deux enfants. Tout le confort avait été mis à leur disposition. Il était aisé de le voir même si les meubles étaient poussés contre le mur et recouverts de housses blanches. Pièces aux belles dimensions, salles de bain bien agencées...Les autres appartements reflétaient le même souci de confort et de tranquillité.

-Seulement sept logements pour les instructeurs de première classe ?

-Oui mais on m'a dit qu'ils n'étaient pas toujours occupés. Leur attribution était très honorifique.

Contrairement à ce qu'il venait de voir, Paul constata qu'à l'exception de la literie et de la lingerie, tout y était encore en place. Il aurait suffi de garnir les lits de draps et de couvertures, de remplir le frigo, de remettre l'électricité en marche et de monter le chauffage...Winger avait eu droit à un de ces petits mais fonctionnels appartements. Après avoir questionné sans fin les détenus de choix qu'on lui confiait, c'était donc là qu'il venait après les coups de cravache, les gifles, les hurlements et les propos sournois. Il dînait avec les privilégiés, faisait du sport avec eux et, à ce qu'il avait compris, était très apprécié du directeur en place.

-Dommage, ils devaient regarder des films, lire des livres, écouter de la musique...

-Qui ?

-Les instructeurs de première classe.

-J'imagine bien, monsieur Barne mais tout a été enlevé. Vous savez, on doit encore chauffer une partie de l'année, ces parties-là du moins mais quand même, ça s’abîme. C'est pour ça que c'est si vide !

-Il y avait d'autres logements...Je me souviens...

-Ah oui, pour ceux qui, comme vous, étaient en phase de sortie. Très endommagés et inaccessibles mais en effet, ils existaient.

Paul avait eu l'illusion quand il s'y était trouvé d'être logé au même rang que son instructeur. Encore un leurre...Ils avançaient vers les installations sportives, l'école, le centre de soins et les pièces de stockage pour les denrées rares. Il y avait des chambres froides.A Étoile, les privilégiés pouvaient dîner au champagne en consommant les mets les plus fins...Hallucinant, quand on y pensait.

-Vous avez demandé à voir l'aile des politiques et les bureaux des instructeurs, n'est-ce pas ?

-Oui. Mais il y a les structures médicales aussi.

-Si ça ne vous ennuie pas, on y va  d'abord. Il faudra marcher. C'est un peu loin.

Pas une lumière, cet Ersend, mais diligent...Il le suivit de nouveau. Depuis un moment, tout se faisait à pied et ils étaient sous terre. Quelle étrangeté ! Les prisonniers étaient à l'air libre, ce qui devait, au début, leur donner l'illusion que tout n'était pas perdu et ceux qui les surveillaient s'enterraient...Dans les salles de l'hôpital, tout donnait l'impression que des patients pouvaient arriver pour subir d'étranges traitements.

-Il y a encore tous les lits, les armoires...

-Les médicaments ne sont plus là. Et beaucoup de matériel aussi...

-J'ai compté une centaine de lits. On était deux mille !

-Je sais, monsieur, c'est très révoltant 

-On sait qui exerçait là ?

-Mon successeur vous donnera des listings très à jour.

-Des médecins encore en exercice...

-Je l'ignore, monsieur Barne. J'ai préparé votre visite mais uniquement avec les documents qu'on a bien voulu me transmettre.

-Et le bloc opératoire ?

-Venez.

Tout y était intact. Il régnait là un silence assourdissant. Paul frémit. Les implants. C'est là qu'on les lui avait mis. Combien de temps cela avait-il duré ? Ce devait être, à en croire les médecins suédois et anglais qu'il avait vus, des interventions délicates. Où était Winger à ces moments-là ? Quand tout était fini, jubilait-il ? En pensant au sourire de l'instructeur quand il avait appris que tout s'était bien passé, Paul serra les points.

-Il servait beaucoup ?

C'était une fausse question.

-Il était réservé aux membres du directoire et à leur famille et aux seuls politiques en phase de mutation. Il y avait une autre section, appelée hôpital subalterne, pour ceux qui voulaient être soignés. Ils ne l'étaient pas, monsieur Barne, vous le savez.

-Oui, très bien.

-Quand tout a sombré, un certain nombre de dirigeants et de gardiens ont saccagé ce qu'ils ont pu. Cet « hôpital » fait partie de la liste...

-En même temps, l'effet de surprise a été massif. Pas le temps de détruire toutes les traces !

Esmed très pâle l'observait. Il souffrait beaucoup. Paul tenta de le rassurer.

-Tu vois, tout est vide maintenant.

-Oui...

De nouveau, ils déambulèrent longtemps pour gagner l'aile des prisonniers de choix.

-Dix cellules pour les Politiques...

-Oui, ça devait imposer une sacré sélection...

-Oui, mais vous pensez bien qu'être choisi n'était pas aussi honorifique qu'on aurait pu le croire ! Je sais,c'est difficile à admettre.

-En effet, monsieur Barne. J'ai compris qu'il y avait une certaine épuration. Les vrais rééduqués étaient peu nombreux.