Au sein de la Prison Etoile, Paul retrouve le détenu qu'il fut. Son attitude déconcerte profondèment Esmed.
Paul devait maintenant rencontrer Per Alstrohm, son second informateur. Nettement plus stylé que son prédécesseur, il devait avoir trente cinq ans et portait beau. Il fit preuve d'habileté et de sollicitude.
-Nous allons laisser monsieur...
-Kerretz.
-Kerretz donc visionner les documents qu'il souhaite dans cette salle. Ils seront présentés bientôt dans diverses expositions et sont au point. Et pour ce qui nous concerne, vous allez me suivre. Ils prirent place dans un bureau coquet et bien chauffé.
Esmed fit un signe de tête. Il ne voulait pas.
-Un instant, dit Paul à son guide.
Il s'écarta pour parler au jeune homme.
-Tu dois attendre.
-Tu ne ressens rien d'humain pour moi sinon tu ne ferais pas ça !
-Mais Esmed, c'est le contraire !
-Le contraire ! Tu es un menteur.
-Ne dis pas ça.
-Comme tu l'appelais...Je pensais ...Mais cette façon que tu as eu de l'appeler ! Et même quand tu parlais, on entendait...
-J'ai de la tendresse et du respect pour toi. J'admire le jeune homme qui a su lutter et l'artiste.
-Ah d'accord...
-Tu es là et demain est avec toi.
-Belles paroles. Eh bien, lui, il y a eu bien autre chose...
Il était sidéré et blessé.
-On en parlera plus tard. Je dois poursuivre.
Le regard d'Esmed était plein de confiance brisée. Paul se sentit navré mais il ne pouvait guère que suivre son hôte.
-Revenir dans ces lieux doit être très éprouvant.
-Oui, ça l'est.
-Sachant que vous viendriez et qu'il fallait tout de même nourrir vos réflexions, je vous ai préparé des dossiers sur le naufrage de cette prison. Il est bon de savoir que tout ce qui s'y passait de mal a pris fin...Vous y trouverez des photos saisissantes des derniers jours de son existence ! Vous saurez aussi ce qu'il est advenu des prisonniers et quel sort a été réservés aux administratifs coupables de faits dégradants, car il y en a eu. Vous vouliez savoir ce qui était advenu des instructeurs, je crois. Rien n'a été ébruité mais aussi affolant que cela puisse paraître, ils se sont tous donnés la mort. Certains l'ont fait quand le mécanisme de la prison s'est enrayé car il y a des émeutes et des révoltes ici. Les autres se sont tués après. Le plus curieux est qu'ils avaient réussi à s'enfuir et à se cacher...Ils avaient moins de chances d'être reconnus que les gardiens de base, qui rudoyaient beaucoup de prisonniers, mais voyez-vous, ils l'ont fait...
-Le mien est mort dans une embuscade.
-Oui, c'est une exception.
Il fit apporter du café et une riche collation car l'heure tournait et Paul paraissait avoir froid.
-Je crois que vous savez qui ont été vos délateurs...
-Oui.
-Ils sont vivants ?
-Certains d'entre eux, oui. Ils se portent fort bien !
-Il y avait beaucoup de dénonciations calomnieuses, je ne vous apprends rien et d'autres très arbitraires. Mis à part les droit commun, dont a , quand on l'a pu, réexaminé les dossiers, la plupart des gens qui ont été emprisonnés ici ont recouvré la liberté. Leurs séquelles sont diverses. Quant à tous ceux qui encadraient les prisonniers, certains ont été sanctionnés et d'autres font l'objet de recherches...C'est une période compliquée...
-Oui, je m'en rends bien compte.
-Je ne vous cache pas...
-Qu'ils ont retourné leur veste, je m'en doute bien.
-Mais vous souhaitez qu'on en revienne à votre cas, ce qui est compréhensible...Vous en savez plus que moi sur celui qui devait vous rééduquer donc je n'insisterai pas. Par contre, pour avoir bien étudié la question, je dirais que les instructeurs n'étaient pas tous comme lui. En général, ils étaient moins violents physiquement car ils laissaient ce soin à d'autres ; par contre, ils pouvaient interroger jour et nuit, ce que le vôtre n'a pas fait. Une fois le programme de rééducation enclenché, il suivait de prêt leur proie mais il n'y avait pas forcément d'élection. Votre instructeur semble vraiment vous avoir choisi. Il voulait s'attacher à vos pas. Je n'invente rien, je vous ai lu. Ce n'était pas courant d'agir ainsi...
-Vraiment ?
-Oui, vraiment. Et ça a du rendre votre tâche difficile car vous avez reçu de la détestation mais aussi de l'empathie.
-Un damné à qui on explique qu'il a droit à une étrange rédemption...
-J'imagine que c'est cela et je pense que vous avez su trancher dans le vif.
-Je pense. Néanmoins...
-Oui, je vous écoute.
-Vous présentez les instructeurs comme des êtres sans faille...
-Ils avaient la formation requise.
-Pourtant une fois, je me souviens, ma gardienne m'a incité à la posséder. C'était en dehors de tout ordre, de toute consigne ; mon instructeur en a été incommodé...Il semblait ne rien avoir contrôlé.
-Les candidats à la rééducation étaient si peu nombreux et ceux qui les encadraient si rigoureusement choisis que je peine à vous croire. Ça aura été une ruse de plus...
Paul, qui avait enfoui au plus profond de lui cet épisode avec la gardienne Xest, savait désormais de quoi il retournait...
-En même temps, je voudrais nuancer l'avenir que vous auriez eu à Dannick avec lui. Ces gens là avaient des codes moraux qui leur étaient propres. Je dispose sur certains instructeurs de documents secrets qui m'ont permis de mieux cerner leur personnalité. Le votre paraissait intouchable. A priori le directeur en place, bien que marié et père de famille, avait du goût pour lui. Ils se voyaient discrètement. Ne croyez pas que je m'érige en juge face à ce type d'attirance. Ici, il y a une note perverse. Voyez-vous, celui dont on vous a crédité avait de forts appuis politiques.
-De type à intimider un directeur de prison ?
-A sérieusement l'influencer, oui. Même si vous lui êtes supérieur, face à quelqu'un d'aussi puissant, vous cédez.
-Tue celui-ci, ne tue pas celui-là...
-Je crois que c'est cela. Il y a aussi : celui-là, laisse-moi jouer avec lui comme je l'entends. Et cet autre, je n'en veux pas...