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La visite de la prison Etoile est terminée. Esmed est épouvanté et Paul doit conduire.

Il était temps de laisser Paul faire des recherches seuls et prendre des notes. Il prit son temps et oublia l'heure. Soudain, il s'avisa que Esmed devait peiner à l'attendre. Il demanda à le rejoindre. Il fallut remercier et serrer des mains car d'autres administratifs venaient d'arriver. Et recevoir une mallette pleine d'archives.

Comme il rejoignait leur véhicule, il s'avisa que s'il était ébranlé, le jeune pianiste était dans un état pire que le sien. Ce fut donc lui, Paul, qui prit le volant.

-On rentre. C'était long ! Plus de six heures...Une vraie épreuve.

Esmed ne lui répondit pas.

-Tu as pu consulter toute sorte de documents...

Le jeune homme garda le silence.

-Je vais conduire.

-Si tu veux.

Il roula prudemment mais dut arrêter son véhicule. Esmed s'agitait et lui-même n'allait pas bien

-Il y a du café et des fruits secs, tu en veux ?

-Non.

-Tu devrais, le café au moins...

-Non !

Paul descendit du 4x4 et se réchauffa avec le café de Magda. Quand le jeune homme, il tenta d'entamer la conversation mais n'y parvint pas. Au second arrêt, le jeune homme vomit puis resta pâle et fermé, un mouchoir sur sa bouche. Il faisait froid. De nouveau, Paul tenta sa chance.

-On m'a séquestré, battu, opéré, tu peux comprendre cela ? J'ai eu un lavage de cerveau.

Esmed paraissait meurtri et horriblement déçu.

-Ah oui, ton instructeur ! Quand on appelle quelqu'un comme toi tu l'as appelé, c'est qu'on a des sentiments pour lui. Tu m'as bien parlé d'un tueur pourtant ?

-Oui mais j'ai été amené à éprouver des sentiments pour ce bourreau. Bien sûr que tout cela est loin, qu'on m'a aidé à me reconstruire mais ça s'est passé là. J'ai tout revécu. C'était un choc !

-Un choc ? Moi je pensais qu'il t'avait rivé sexuellement à lui, enfin quelque chose comme ça...A la limite, ça je pouvais comprendre.

Paul avait froid et mal à la tête. Il voulait le calme mais ce jeune homme indigné ne désarmait pas.

-Et tu ne comprends pas.

-Non ! Il n'y a rien à comprendre si ce n'est que tu n'es certainement pas guéri.

-C'est si complexe...

-Je ne pense pas !

Les cheveux en bataille, le regard fou, Esmed marchait de long en large en gesticulant.

-D'ailleurs pourquoi je penserais ça, hein ? Il aurait pu tuer mes parents et d'ailleurs, il l'a fait à demi puisque mon père va mourir ! Et les autres là, tous sont qui ne sont jamais ressortis de cette prison !

-Je sais cela.

De nouveau, Esmed tempêtait.

-Alors pourquoi tu lui parles sur ce ton ? Tu fais le fier mais en même temps, tu le sollicites pour qu'il se manifeste ! Ça me dépasse ! Ça me dépasse et ça me dégoûte !

Paul soupira. Il était épuisé.

-C'est compréhensible.

-Ah oui ? Tu veux savoir ce que je pense ?

-Non.

Il était furieux. Terriblement touchant aussi.

-Je n'aurais jamais du te rencontrer ! Je crache sur toi ! Je crache sur toi !

Paul remonta dans le 4x4, claqua la portière et mit le contact. Baissant la vitre, il fit face au jeune homme qui gardait l'impétuosité et la droiture de la jeunesse.

-Tu pars sans moi ?

-Si ça continue, oui. Tu ne crois pas que tu exagères ?

-Non, j'ai raison ! Tu le regrettes ! Tu le regrettes...Tu es immonde.

Il fallait trancher et le calmer.

-Qu'est-ce que tu choisis Esmed ? Tu continues ta litanie de reproches et tu acceptes de te taire et de m'écouter ? Ce ne sera pas long car voilà une journée qui m'aura beaucoup appris. Sinon, rebrousse chemin, à une heure d'ici, tu peux te loger. Magda viendra te chercher.

-Quoi ! C'est la prison là-bas !

-Je ne me répète pas.

Esmed monta dans le véhicule et fit silence.

-Tu es un sale malade.

Paul le contra.

-Ma femme croit aux anges et aux démons. Elle y a toujours cru. Moi, je m'en moquais mais une fois face à lui, j'ai cessé de rire. Il était mon démon. Je me suis retrouvé aux antipodes de ce que je croyais être, si vulnérable et vil au fond...Moi, le héros, l'homme de l'ombre qui galvanisait ceux qui m'écoutaient à la radio, j'étais là à vouloir être vil. Ne crois pas que les années effacent ce type d'effroi car c'est bien de l'effroi que j'ai éprouvé en prison et ensuite. A plusieurs reprises, j'ai cru m'être suffisamment confronté à lui pour en avoir fini mais je me suis trompé. Cette fois là est la bonne. Il me fallait revenir à Étoile. C'est chose faite.

Et comme Esmed, sidéré, demeurait muet, n'osant le regarder, il ajouta :

-Il me répondra et ce sera fini.Il faut que ce soit ainsi. Et ce sera ainsi.

Le silence régna entre eux, si pesant qu'ils en eurent mal. Ils roulèrent longtemps encore puis Paul rompit la glace.

-Tu n'as pas froid ? Tu es très pâle.

-Je n'arrive pas à accepter. Mais ça va.

Ils s’entre-gardèrent.

-Alors c'est bien.

Ils roulèrent en silence puis de nouveau, Paul se gara.

-Une fois à Dannick, si tu le souhaites, j'irai vivre ailleurs. Madame Egorff comprendra. Je dirai à un de mes collaborateurs de gérer ta carrière.

Esmed, toujours pâle, se tourna vers lui et eut un doux sourire.

-Parce que si tu restes, tu ne sais pas comment tu feras ? Parce que je lui ressemble.

-Non, parce que je m'étais juré de ne jamais te décevoir et que je viens de le faire. Et il en va de même pour Magda.

-Tu n'as pas besoin de partir.

-Ah ?

-Non, tu peux rester.

-Mais il faudra me prendre comme je suis.

-Je ferai avec.

Soulagé, Paul adressa au jeune homme un sourire plein de reconnaissance.

Au fond, il était logique que ce fut Esmed qui l'ait accompagné. Nul autre que lui pouvait saisir la complexité de ce qui jouait là. Comme ils arrivaient, Paul lui dit :

-Ne dis rien à Madame Egorff. Je lui parlerai.

-Elle sait toujours tout.

-Non, pas cela.

-Alors, je ne dirai rien.

Ils descendirent du véhicule et de nouveau se regardèrent. Le jeune homme malmené et l'ancien détenu...

Magda, qui les attendait dans leur chambre d'hôtes, fut surprise qu'ils aient tant tardé. Elle leur avait fait préparer un bon dîner mais les voyant si pâles et défaits, elle n'insista pas. Paul alla dormir mais le jeune pianiste, après tergiversations, se mit à dévorer...

Le lendemain, Magda lui parla brièvement :

-Très difficile ?

-Oui mais j'avais décidé de faire cette démarche. Pour Esmed, c'était redoutable. Ces salles, ces couloirs, ces vidéos...

-Cette prison, il l'a vue et c'est très bien.

-Son père ?

-Sa maladie progresse et les émotions fortes ne lui sont pas bénéfiques. Chaque fois qu'il voit son fils, il s'agite. Mais l'alerte est passée. Du reste, il faudra attendre un peu car Esmed a couru le saluer.

-Il est très attaché à son père, cela se conçoit.

Magda ne devait pas en penser moins car elle avait senti la détresse de son jeune protégé mais elle resta stoïque. Elle était bien trop intelligente et digne pour se heurter aux zones d'ombre de Paul.

-Nous allons reprendre la route et c'est heureux...

-J'avoue que Varra  est plutôt sinistre !

-C'est un fait. Je vais conduire, Paul. Vous méritez de vous laisser aller.

Esmed revint un peu en retard et elle lui sourit. Il avait un paquet avec lui.

-Un autre pull-over ?

-Oui, madame Egorff. Rouge.