Esmed, le jeune pianiste que Paul a protégé, demande à celui-ci de jouer le rôle d'un père. CEtte requête scelle leurs liens.
-Tu n'es pas devenu fort, alors ?
-Si. Tout s'est dissous.Et toi, tu deviendras comme nous.
Il allait droit au but et ne se trompait pas.
Esmed eut un doux mouvement de tête. Il se radoucissait.
-Oh, en fait, tu m'as juste agacé !
-Non, je t'ai déstabilisé. Il y avait de quoi !
-Écoute, si je t'inspirais des sentiments différents, dont tu n'aurais pas peur ? Serait-ce mal ?
Paul parut perplexe.
-Je ne saisis pas.
Une grimace du jeune homme le fit sourire.
-Mon père sera mort bientôt.
-Oui, malheureusement. Mais ta mère et ta sœur vont revenir.
-Mais pas mon père.
-Non, bien sûr...Et tu veux, tu voudrais...
-Deviens mon père.
C'était désarmant. Sa demande profonde était là.
-Alors ?
-Que puis-je faire face à quelqu'un d'aussi futé ! J'ai sensiblement le même âge que lui et la fibre artistique...
-Tu comprends vite.
-J'ai déjà deux grands enfants, tu sais...
-Je ne suis pas du tout comme ton fils !
-Colin est très brun. Il ressemble à un jeune américain maintenant et ceci, même en Allemagne. Et ma fille est différente de toi, elle-aussi. Tu sais, je n'ai pas été un père fiable. J'étais vaniteux, futile puis en cavale, en prison... Tu veux de moi une fiabilité de tous les instants que je risque de ne pas avoir...
-C'est faux . Tu me conseilleras pour mes concerts et tu m'accompagneras en tournée. Tu me laisseras aller de droite et de gauche mais tu seras une présence forte et je m'apaiserai. Tu me donneras des conseils que je suivrai. Et tes enfants viendront aussi.
-Je serai bientôt à Munich pour voir mon fils et sa femme. Et ensuite, je verrai Lisa en Amérique. Son mariage.
Madame Egorff les recevra, il y a de la place ici. Et ceci même quand tu seras grand père ! Elle...
-Elle ?
-C'est une grande dame. Elle est bien pour toi. Parfaite, même.
-Pas si vite, commençons par tes concerts !
-Oui mais tu verras ! J'ai raison !
Tous deux rirent.
-Une accolade ? Le genre viril, hein !
-Oui.
Paul obéit et Esmed lui adressa un sourire radieux.
-Une telle mansuétude mérite d'être saluée. Alors, tu redeviens celui que tu étais avec moi. Si proche, si rieur, si cultivé et profond aussi...
-C'est possible il me semble à condition de m'adresser à un jeune homme qui sait mesurer les risques à prendre ou à ne pas prendre. Plus de mauvais coups...
Esmed se remit à lui sourire. Son assurance revenait. Paul partit.
Cette nuit-là, il s'endormit et rêva. La cravache de l'instructeur était brisée. Il eut la vision de fins cheveux blonds se dispersant au vent. Markus lui avait-il livré une ultime partie de lui-même pour rester unique ou puisqu'en effet il avait échoué, lui avait il donné une partie de lui fragile et volatile, dont il était aisé de se débarrasser? A moins qu'il ait eu une autre idée en tête. Mais quelle qu'elle put être celle-ci, elle était sans portée.
-C'est fini, je crois, pensa- t'il et dans le temps où il le pensa, ce fut vrai.