-Et ?
-Et je n'ai plus ce logement.
-Et ?
-Et elle m'en propose un à Versailles mais je...
Je l'interrompis brutalement :
- C'est pour cela que tu romps une règle fondamentale ? Pour me dire cela ? Perdrais-tu la raison, par hasard ? Je te déconseille fortement de refaire une chose pareille. Tu m'ennuies. Je te laisse !
Je raccrochai et restai tout le jour sans état d'âme. Le soir même, je décommandai un rendez-vous que j'avais avec elle, laissant entendre que les suivants seraient compromis. Elle dut entendre ma voix sur le répondeur de sa ligne fixe et, à en juger au ton que j'employais, elle ne risqua pas à me rappeler chez moi. Je jubile à la pensée des journées que je lui fis passer ensuite, la laissant sans aucune nouvelle et ne me préoccupant pas d'en prendre d'elle. Elle dut pleurer, regretter amèrement, se demander comment rattraper ce qui était pour elle, au départ, une petite bévue et qui lui apparaissait désormais comme un énorme impair. Je reconnais qu'elle eut de la classe car, au lieu de m'inonder de messages larmoyants au fil desquels elle se répandait en excuses, elle m'en envoya deux. Dans le premier, elle ne me demandait pas de l'excuser puisque ce qu'elle avait fait était, elle le voyait bien, irréparable mais elle se déclarait repentante et acceptait toutes les punitions que je lui infligerais. Dans le second, qui était distant de l'autre de dix jours, elle m'annonça que d'une part elle avait accepté de loger temporairement dans un studio à Versailles, studio qu'on lui sous louait en attendant qu'elle trouve un logement par elle-même et que de l'autre, elle s'était habituée à l'idée de trajets plus longs pour aller au travail ainsi que d'un changement de mode de vie. Sur ces points- là, donc, elle avait été momentanément rassurée.
Elle disait bien « momentanément » car une nouvelle venait de lui être annoncée: son contrat à durée déterminée dans la belle librairie où elle se rendait presque chaque jour, avait été d'emblée posé comme renouvelable. Toute assurance lui avait été donnée qu'il le serait. Or, elle venait d'apprendre qu'il ne l'était plus. Déménager alors même qu'elle n'avait plus d'emploi n'avait aucun sens. Elle s'était renseignée: à Annecy, la librairie où elle avait brillé ne demandait qu'à l'employer de nouveau. Elle allait quitter Paris. De toute façon, elle sentait bien qu'avec moi, elle était en disgrâce. Je ne la pardonnais pas. Elle, elle m'aimait. Elle m'aimerait même loin. C'était ainsi. Elle comprenait bien que le type de relations dans lequel nous étions engagés excluait toute réaction humaine comme elle en avait souvent. Elle regrettait.
Je lus son long message sur mon ordinateur et fis ce qu'il y avait à faire : je réagis vite.
Je l'invitai à prendre un café et choisit un lieu un peu désuet près du cimetière Montmartre. Elle pâlit quand elle me vit et m'offrit un visage craintif. D'emblée, je lui parlai ...
- Tu dis vrai quand tu notes que les relations que nous avons ne sont pas conventionnelles car elles ne sont pas celles d'un couple. Ceci dit, tu l'as remarqué à tes dépens, elles ont leurs conventions...Je t'ai tenu à distance car tu le méritais et je te punirai encore. N'oublie pas que c'est toi qui l'as demandé...Si je te fais venir ici aujourd'hui, c'est parce que c'est aussi mon rôle de t'aider en pareil cas. Tu as bien signé un contrat, n'est-ce pas et avant de l'avoir signé, tu l'as lu ? Alors, tu as bien dû comprendre que je dois te venir en aide.
- En effet, je l'ai lu mais vous sembliez si offensé...
Elle semblait démunie : une petite fille.