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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
16 août 2022

George D. Celui qui meurt. Partie 1.

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 8 George. Roquebrune. Décembre 2015. Sur la Côte d'azur où il s'est réfugié, le chanteur George Daniel, lassé de tout, se retourne sur son énorme succès, le désir qu'il a suscité et son émouvante rencontre avec un jeune brésilien. 

Des années durant, j’ai cru que la mort violente d’ A avait coupé toute relation entre nous et j’en ai horriblement souffert.

J’étais un chanteur à succès dont le charme « à la fois viril et brutal » (je cite je ne sais plus quel brillant journaliste) fascinait les femmes. Je n’avais aucun effort à faire pour qu’elles se mettent à glousser, à se trémousser ou à vociférer dès que je mettais les pieds sur une scène. Les plus jeunes se mettaient devant et se contorsionnaient, persuadées que le jeune mâle que j’étais pourrait heureusement faire la sélection. Une chaque soir, ça allait de soi. Je n’avais qu’à claquer des doigts ; de toute façon, il y en avait toujours une petite bande qui m’attendait dans les coulisses.

Oh, George, tu es si suggestif quand tu chantes I want your sex ! Tu comprends les femmes toi ! Je te veux, on te veut ! Viens, George, déshabille-moi, déshabille-nous, déshabille-toi ! Tu as un beau corps, tu nous le fais assez comprendre quand tu parcours la scène en courant, torse nu sous ta veste de cuir ! Oh, George, on est toutes sûres que tu bandes pour nous ! Hein, tes mouvements de hanche ne trompent pas ! Pas besoin de rembourrer tes caleçons comme tu le faisais tout jeune ! On va te dire un truc : la virilité, ça ne trompe pas…On sait de quoi on parle, quand même ! Rassure-toi, on ne te décevra pas. Jane, Mary, Patricia, Liz, Connie, Amy, Lindsay, Carol, Michèle, Kathryn… Viens mon beau, viens c’est la fête. Tes yeux marron-doré, ta barbe de trois jours, les poils sur ton torse, tes jambes fermes…On sait bien, on sait bien. Miam-miam, toi ! Tu veux nous baiser ? Tu en as le pouvoir ! Dis-nous qui passe en premier, hein, George ? « Sexual Healing », bon, c’est une chanson de Marvin Gaye. Il la chantait d’une façon plus abrasive que toi mais, malgré ton air de garçon poli et qui sait se tenir, on avait compris quand même. D’accord ? Elle te démange quand même cette envie de t’envoyer une femme et de la faire suivre par une autre… Hein, George ? Les paroles de cette chanson étaient claires. Le désir, il faut l’assouvir et tu vois, on était toutes prêtes à t’aider. C’est sûr qu’on aurait aimé être ta « lady » mais là, il ne fallait pas rêver. Tu chantais pourtant que tu l’attendais cette femme et qui sait, parmi tous les mannequins qui t’entouraient, tu finirais par la trouver. If you where my woman…Ah, si tu savais George ! Il y a combien qui, sachant qu’elles ne seraient pas tiennes, buvaient un verre ou deux le soir en pensant à toi, sans penser à toutes celles qui, en secret, jouissaient pour toi, en cachette de leur père, de leur mari ou de leur petit ami. Mon si beau George à la voix d’ange, fais-nous rêver mais n’oublie pas que nous sommes charnelles. Hein, ne nous déçois pas. Chacune d’entre nous sait que tu es bien membré. Tu es un fantasme sexuel, George, alors de ce côté-là, tu n’as pas le droit à l’erreur ! Mais, ne t’inquiète-pas, tu as bonne presse. On sait de quoi tu es capable. Cette blonde, ce soir, cette rousse, demain. Claque des doigts, ma belle Pop-star. On arrive toutes !

J’ai eu droit à ce discours des années durant et je m’y suis plié. Voilà, j’étais couvert de femmes, je n’avais que l’embarras du choix. Je commençais à savoir que ce j’étais ne me conduisait pas vers les femmes mais on était à la fin des années quatre-vingt. Le sida avait fait son apparition et semait le trouble. J’étais incroyablement ambitieux et je gagnais des millions. Mes concerts étaient retransmis partout dans le monde. Dire qui j’étais ? Impossible pour moi. J’étais incapable d’accepter que ma célébrité puisse être affectée par l’aveu de mes préférences sexuelles alors que j’affirmais haïr le mensonge…J’ai donc couché avec pas mal de filles mais très vite, j’ai cessé de dormir avec elles. Le plaisir était mécanique. J’avais souvent de petites amies jolies et charmantes. Je ne tombais pas amoureux et ça les rendait folles. En fait, sans le savoir, j’entretenais leurs espoirs.

En 1991, ça durait toujours, pour le public du moins. Dans les milieux du show biz, on savait à quoi s’en tenir sur mes préférences sexuelles et amoureuses mais, pour le reste, je maintenais l’illusion. Je continuais à être le fantasme sexuel de toutes ces jeunes filles énamourées qui souhaitaient que je les tringle et de leurs mères qui n’en attendaient pas moins. Les temps changeaient cependant et je commençais à avoir un public gay « à qui je plaisais » mais qui attendait que j’abatte mes cartes. Secrètement, oui, c’était clair mais concernant mon image publique, il n’y avait rien à abattre. C’était trop risqué.

GM EN CONCERT

 

Au Brésil, j’ai rencontré A à la fin d’un concert. Il était au premier rang et pendant tout le spectacle, il a, comme les autres, repris les refrains et applaudi à tout rompre. Par contre, il s’est vite singularisé car, au lieu de bouger et de gesticuler sans arrêt, il s’est comme immobilisé et m’a fixé avec de grands yeux d’enfant émerveillé qui attend sa récompense. Ça m’a surpris ça car ce n’était pas courant. Mes « fans » à l’habitude dansaient sans cesse et reprenaient les refrains de mes chansons.

Mon tendre, mon bel A…Toutes mes convictions qui allaient disparaître…

Dans les coulisses, il m’attendait et il a dû insister pour me parler. J’avais assuré cinq rappels et la salle, hystérique, ne se vidait pas. J’étais seul dans ma loge et je me démaquillais quand il a frappé. Il n’était pas seul bien sûr, un de mes gardes du corps l’escortant.

-Je ne reçois personne, c’est clair !

-Il insiste.

-Qu’est-ce qu’il veut ?

-Il veut vous parler…

-Comme c’est original…

-Il était au premier rang et vous ne vous êtes pas quittés des yeux, à ses dires.

-Quoi !

Je l'ai trouvé plutôt insignifiant quand je l'ai vu. Un joli visage, certainement mais combien en avais-je déjà contemplés ? Ils cherchaient tous la plupart du temps à se donner le beau rôle, les femmes comme les hommes. Je vous admire beaucoup ! Quelle chance ! Si vous saviez à quel point j'attendais ce jour ! Je suis disponible pour vous, hein ? Vous comprenez ?

Je comprenais ?

Et comment ! Allez, déshabille-toi. Demain, je ne saurais même plus comment tu t'appelles et de toute façon...

Mais lui, non.

-Monsieur Daniel, prenez un café demain avec moi. Je vous laisse cette enveloppe. Il y a mes coordonnées dessus. Je vous attendrai. C’est une plage très simple. J’y allais enfant. Le Brésil peut beaucoup vous aider…

-M’aider ?

Je l’ai regardé. La porte de ma loge était ouverte et ma haute silhouette s’y découpait. Il me regardait avec ces mêmes grands yeux enfantins qui m’avaient frappé tout à l’heure. Il avait l’air émerveillé et j’ai été touché par lui. Ses joues rondes gardaient le velouté de l’enfance et même son sourire était jeune, si jeune. Il était mince, pas d’une beauté fracassante mais tout de même. Au cou, il portait une petite croix dorée et à son bras gauche était tatoué un petit cœur percé d’une flèche. Il avait des cheveux épais qu’il avait sans grand résultat coiffé avec du gel mais rien en lui n’était ridicule. Il avait une belle peau unie et halée…

-On a les mêmes yeux. Pas la forme, la couleur : marron et vert. Moi, quand je suis content, il paraît qu’ils sont plus verts. Ma mère et mes amis me disent ça mais c’est peut-être juste une plaisanterie…

-J’ai les yeux marron. Ils ne changent pas de couleur. Autre chose ?

-A demain !

-Je ne serai pas libre.

-Si !

Qu'est-ce qui se passait ? Pourquoi me faisait-il cet effet ? Il était totalement simple et sans orgueil.

-Je ne sors pas sans garde du corps.

-D’accord, sortez avec lui mais changez d’apparence et semez-le !

-Quoi ?

-Ce n’est pas compliqué. On sait faire ça, nous, les Brésiliens. Le Carnaval…

-Je me déguise et vous retrouve. On prend un café et on se baigne. C’est le programme ?

-Oui !

Il a eu un rire délicieux et dans son sourire toute la bonté du monde est venue s’inscrire. Mon cœur s’est comme dilaté mais je me suis borné à ricaner. Pas décontenancé pour le moins du monde, il a hoché la tête.

-A demain, monsieur Daniel.

 

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