MONTANA 1

Brutalement chassée de New York par le galeriste Phillip Hammer, qui l'avait pourtant invitée, Isée, professeure trentenaire renoue avec Zacharie, son soupirant du Montana et part à Billings où elle renaît...

A ces promenades, s’ajoutèrent des parties de pêche et de grandes randonnées pédestres avec Zacharie ainsi que des leçons d’équitation. J’eus beau admettre rapidement que j’avais peu de disposition pour ce sport, mon ami insista et il eut raison. De leçon en leçon (j’en prenais quotidiennement), je parvins à une maîtrise honnête de cette discipline et put me risquer à quelques escapades avec cet Américain toujours égal d’humeur qui, lui, semblait être né pour monter un cheval. La nature m’entourait et je m’apaisai. C’est d’ailleurs parce que j’étais beaucoup plus calme et disponible qu’au bout de quelques semaines, lui et moi redevînmes amants. Zacharie n’avait jusqu’à maintenant évoqué nos bons moments à Paris mais toujours éludé New York et l’humiliation que j’y avais reçue. Lorsque nous fûmes redevenus proches, il le fit, me faisant remarquer au passage que j’avais agi avec lui avec beaucoup de légèreté et avec les deux autres avec une complaisance dangereuse. Le message était clair. Ce qui m’avait lié à des êtres tels que Vincent et Philip n’existait plus. Tout s’était dissous. Si j’avais encore des regrets, je devais les faire disparaître car rien n’était plus nuisible pour moi que de rester dans l’expectative. En parlant ainsi, il prouvait que sous ses airs d’Américain bien terrien et sain dans ses attitudes, il était sagace. Durant ces deux mois, je rêvai assez régulièrement de Phillip et du beau trompettiste et changeai la nature de nos rapports. Ils se tournaient de nouveau vers moi…Ce qui me fit m’écarter de rêves aussi fous, ce fut l’écriture car Zacharie me demanda ce qu’étaient devenus les descendants de la sage Ruth, de la digne Louise et de la solide Carolyn. Ils étaient bien en Amérique. Quels mondes avaient-ils traversés ? Quelle était leur vision de la vie maintenant ? En m’intéressant aux descendants de la prude madame Sheridan, je fis naître une lignée de Bostoniens toujours aussi entreprenants et doués pour les affaires. Je ne les libérai pas de leur puritanisme et de leur esprit de renoncement dans le domaine amoureux car c’était une part de leur force et de leur dignité. Les héritiers de Louise furent moins bien traités. Ils s’étaient heurtés aux paradoxes de l’Amérique - guerre du Vietnam, guerre en Irak, conflits sociaux et raciaux- et ne s’en étaient pas toujours bien sortis même s’ils avaient eu des vies assez longues. Quant aux deux enfants de Carolyn, que le 11 septembre avait frappée de plein fouet, ils étaient maintenant des adultes solides, conscients que rien n’est jamais sûr dans la vie et que le bonheur est une construction graduelle. Le garçon était ingénieur en informatique et travaillait en Californie où Carolyn s’était installée suite à son remariage. La fille travaillait dans une banque à New York, comme pour rester une sentinelle veillant sur son père mort…

 

MONTANA 2

Que j’écrive ainsi sur ces vies enthousiasma non seulement Zacharie mais sa famille et ses amis. Je ne m’y trompais pas cependant. Ils ne me considéraient pas comme un écrivain mais comme une conteuse qui savait charmer par les thèmes qu’elle abordait et le charme qu’elle introduisait dans ses récits. Être appréciée ainsi me guérit lentement mais sûrement de mon étrange attraction pour Philip Hammer. Tandis qu’on me félicitait, il me vint à l’esprit qu’il avait sans doute trouvé à New York ou à Paris une autre jeune femme suffisamment romanesque pour le suivre dans ses constructions affectives et intellectuelles.. Il l’avait repérée je ne sais comment et l’utilisait, comme il l’avait fait avec moi. Peut-être avait-il inventé un projet de livre et prétendu qu’il s’y prenait mal. Il avait besoin d’aide et elle lui était apparue comme tout à fait compétente. Elle était flattée ! Vincent papillonnait autour d’elle et elle ne tarderait pas à être troublée par lui tandis que Hammer l’impressionnait chaque jour davantage…Ils la prendraient au piège, comme ils l’avaient fait avec moi...

Je sentais qu’avec Phillip, je n’étais pas quitte car après mon brutal rejet à New York, je ne l’avais jamais plus contacté. L’eussé-je fait maintenant qu’il m’aurait gratifié d’un « oh Isée, quel dommage ! Mélanie est parfaite, mieux que vous ! Il aurait fallu me contacter plus tôt. Là, j’aurais pu reconsidérer ma position. Vous savez bien que votre Philip peut être emporté par fois ! Mais là…Non, c’est trop tard ! ». Mais je sentais aussi qu’il ne fallait rien faire. Et du reste, je ne fis rien.