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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
20 mai 2021

Krystian et Anna : Krystian à Paris, entre deux concerts...

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Chapitre 4. Anna à Paris. Krystian évoque la réussite totale de sa tournée européenne et annonce la venue d'un ami polonais...Emotions d'Anna. 

Le lendemain du départ de son épouse, il lui parla au téléphone:

-Comment c’était avec ma femme ?

-Très bien, monsieur.

-Anna, Liz est une personne difficile. Je me doute bien qu’elle ne vous a rien passé. On en parle un peu ?

-Non, monsieur.

-A votre aise. Ma tournée se déroule magnifiquement bien. Que de concerts à guichets fermés ! Que d’ovations !

-Madame m’a dit. Bravo, monsieur.

-Je termine ma période de concerts en Angleterre et j'irai en Italie ensuite. Les concerts en Allemagne, Autiche et France viennent ensuite. J’aimerais tant être à la maison entre deux séries de concerts.

-J'en serais heureuse.

Il y avait de l'émotion dans sa voix. Il dut le percevoir.

-Toutefois, je doute que cela soit possible. Tout s’enchaîne très vite et me contraindrait à de longs déplacements…

-Je comprends, monsieur.

Il annonçait un ami polonais pour trois jours. Il voulait absolument qu'il restât chez lui !

-Il est très gourmand ! Faites des gâteaux.

-Oui, bien sûr.

-Mon ami s'appelle Tomasz Waklawski. Vous vous souviendrez ?

-Oui. Il parle français ?

-Il y est obligé comme moi ! Lui, il vit en Suisse ! Il vous expliquera cela. Prenez soin de lui.

Il eut un rire frais et la laissa.

L'invité polonais fut là trois jours après. Il devait avoir quinze ans de plus que Jerensky et contrairement à lui, il était petit, un peu rond et très bavard. Il fut surpris quand Anna lui ouvrit la porte et la contempla avec une curiosité plutôt bienveillante.

-Oh Krystian fait des progrès ! Il a engagé une femme encore jeune et souriante. Ça change des femmes à barbe !

Elle ne sut que dire ; Il la rassura.

-Tous les Polonais ne sont pas pareils ! Moi, si j'ai une employée, elle aime rire autant que travailler. Lui, il a longtemps pensé qu'il lui fallait des femmes austères, rigides et franchement pas attirantes physiquement ! Les dernières en date devaient rire une fois par an...

Anna se mit à rire. Tomasz la mit tout de suite en confiance. Il avait apporté son violon et en jouait. Elle vit tout de suite qu'il était un virtuose même si notoriété n'était pas si grande. Elle n'avait encore pas osé questionner quiconque sur l'histoire de Jerensky. Là, elle se sentit prête à le faire.

-Vous vous êtes connus en Suisse ? C'est cela que vous avez dit ?

-Non. Nous nous connaissions déjà. Le bloc soviétique, ça vous dit quelque chose ? Je l'ai connu au conservatoire de Varsovie avant qu'il n'obtienne le prix Chopin qui a ouvert sa carrière. Il avait dix-huit ans. J'enseignais le violon au conservatoire.  Il avait une famille aisée mais stricte. Il fallait travailler. Vous savez, pour les siens, les cours de piano étaient une partie d'un tout : il fallait aussi les langues étrangères, la biologie, l'histoire, la géographie. Ses parents, ses frères et sœurs étaient tous polyglottes et très cultivés. Les communistes avaient des défauts, vous savez cela en France, mais ils produisaient de grands chefs d'orchestre et de grands interprètes. Et puis beaucoup de gens à l'est étaient fous de musique classique, d'opéras. On pouvait faire une belle carrière vous savez ; évidemment, vous le devinez, il ne fallait pas trop donner le sentiment qu'on se posait beaucoup de questions...

-Et vous vous en êtes posées ?

-Moi, oui. D'abord. J'ai franchi le mur en 1974.

Il sourit. Son visage, pourtant peu gracieux, devenait passionné et presque beau et ses yeux brillaient de conviction ; Anna le trouvait irrésistiblement sympathique, profond et drôle.

-Krystian n'a pas aimé mon départ. Il ne l'a pas compris. Je ne dirais pas qu'il aimait le système communiste en Pologne mais il s'en arrangeait. Il était brillant, célèbre. Il avait à vingt-trois ans déjà une grande réputation. Et puis, on l'a envoyé jouer en URSS et il devait travailler avec un chef de l'époque : Kiril Kondrachine. Ce Kondrachine était un grand chef d'orchestre, Krystian le savait et le respectait pour ça. Mais ils n'avaient pas d'atomes crochus. Bon, il a quand même fait des concerts avec lui et en est revenu hors de lui. Krystian a des idées très précises sur ce qu'il joue et la manière dont il doit le jouer. Kondrachine dirigeait l'orchestre de Moscou et quand je vous dis qu'il le dirigeait, je suis formel. Il était de fer. En 1978, Krystian a été invité à participer à une série de concerts à Amsterdam. Les choses étaient faites. Juste avant de partir, il répétait avec Karajan et le philarmonique de Berlin. Au moment où il devait s'y rendre, il a appris que Kondrachine avait déserté l'union soviétique et demandait asile politique à l'ouest. On a demandé à Krystian de ne pas aller à Amsterdam. Il s'y est rendu, malgré tout. A son hôtel, on lui a remis un télégramme émanant de l'ambassade polonaise. Tous ses concerts étaient annulés et il devait rentrer…

-Il n’avait aucune conscience politique et il s’arrangeait du système ! C’est ce que vous avez dit !

-Ah, ah, ces petits démocrates et le communisme ! Tous les mêmes. Quel dictionnaire des idées reçues ! Bref, il faut croire que son cerveau a travaillé vite !

-Et donc ?

-Il a immédiatement déserté l'hôtel et a dit au concierge qu'aucun télégramme ne lui était jamais parvenu. Ensuite, Il s'est dépêché d'aller prendre un train. Il pouvait se faire attraper par le KGB et être empêché de rejoindre la salle de concert. Il a demandé à l'intendant de l'Orchestre d'Amsterdam de venir à la station pour s'assurer qu'il était en sécurité. Il était là pile à l’heure, le fameux intendant et il a demandé à Krystian s'il voulait un gilet pare-balles parce que Kondrachine en avait un. En ce temps-là, les gens étaient abattus par le KGB à l'extérieur du pays. Je ne sais pas combien de milliers de personnes ont été tuées par le KGB, mais je ne suis pas sûr qu'il y ait autant de morts aujourd'hui avec les frasques des présidents américains ou  ces tyrans du monde arabe !

Anna était stupéfaite. Elle dit, très émue.

-Qu'a t'-il fait ?

-Il a cherché à se faire accepter quelque part et seule la Suisse lui a permis de rester. Ensuite avec la chute du communisme, il a pu vivre en Angleterre puis en France et énormément voyagé. Moi, je n'ai pas voulu encore changer de pays. C'était déjà assez compliqué comme ça ! Alors la Suisse, pourquoi pas…

-Comme Kondrachine ?

-Non, lui, il a filé aux Etats-Unis.

-Alors, cela vous a laissé sans état d’âme, les uns comme les autres…

-Non, pour moi, quelque chose s'est défait. J'ai dû laisser une femme là-bas et je ne l'ai pas revue. Elle est morte. Ça ne s'est pas passé comme prévu.

-Je suis désolée.

-Je l'espère !

-Et lui était seul ?

-Krystian ? Non, il ne l'était pas. Il avait une femme et deux filles.

-Où sont-elles ?

-Elles sont restées. Son épouse était une fervente communiste. Avant même que Krystian ne manifeste le moindre rejet du système, elle a dû comprendre qu’il changerait. C’était un traitre à la patrie ! Il s’était marié jeune et sur un coup de tête. Ces filles étaient toutes petites. Son épouse a fait le nécessaire.  Dans ces-là, le divorce était prononcé d’office. Quant aux droits sur ses enfants, il n’en avait plus aucun. Il fallait tourner la page.

-C'est terrible !

-Non, cette période était compliquée.

-Et Liz ?

-C'est sa femme, sa nouvelle épouse,  et Isabella, sa fille.

-Elles sont à New-York.

-Elles sont « souvent » à New York. Ce n'est pas pareil.

-Et lui ?

-Ne vous inquiétez pas pour Krystian. Il a la musique, la musique ! Et croyez-moi, il a plus d'équilibre à être comme il est que beaucoup d'entre nous !

-Je ne sais pas. La grande  musique, vous,  les grands interprètes...

Tomasz sourit.

-Bien sûr que vous ne pouvez vraiment le comprendre. Il vient d'un univers très différent. Et c'est un vrai musicien. Mais vous l'admirez, vous le servez et il vous apprécie !

-Il m'apprécie ?

-Oui.

Avec le violoniste polonais, ce fut une période délicieuse. Plusieurs personnes passèrent ensuite mais sortirent beaucoup ; Anna ne les remarqua pas et elle ne fut pas marquée par elles. Alan et Kristin Bell étaient des amis londoniens qui adoraient Paris et Lucien Devers un décorateur de théâtre de bonne réputation. Les raisons pour lesquelles ils séjournaient là lui parurent moins claires que celles de Liz et de Tomasz mais c'était des gens souriants et discrets. Ils ne posaient pas problème.

Et enfin, Krystian Jerensky revint.

Elle eut un choc en le revoyant. Elle avait déjà été éprise, elle connaissait donc déjà les manifestations liées à l'attirance amoureuse. Toutefois, elle fut décontenancée car elle ne s'attendait pas à réagir comme une écolière. Elle se sentait rougir, cherchait ses mots, avait le front moite : quelle naïveté et quel malaise ! Il ne pouvait pas ne pas le voir. Distingué, un peu lointain et souriant, il ne parut pourtant rien remarquer. Elle en fut soulagée et, malgré quelques maladresses, elle le servit comme elle l'avait fait au départ. Il resta bon public. Enhardie, elle fut plus bavarde. Ils avaient brièvement parlé de Liz, des anglais et du français. Elle voulut parler du Polonais...

 

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