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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
11 décembre 2022

George D. Celui qui meurt.Partie 2. Erik à Londres (3)

 

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Je n’ai compris ni ce qu’il tentait de me dire ni ce qu’il tentait de faire. Cet album serait une renaissance. Je n’étais pas prêt pour l’autre monde. Voyant que je passais à côté du message qu’il me lançait, il a hoché la tête et  a demandé à continuer la visite. Au final, il a maintenu que je pourrais rester là, dans ce lieu si paisible. Voilà, il était d’accord avec moi. Mais pour ce qui était de cet ex-compagnon, ah non.

Le soir même, on a dîné dans un restaurant très anglais comme je les aimais. Il s’était changé et portait un costume élégant. On m’avait reconnu et j’en étais heureux. Il allait très bien avec moi, jeune bien sûr mais plein de classe et d’une beauté racée. Allez, allez, il comprendrait, il resterait. J’avais oublié ce qu’il m’avait dit dans le beau salon de ma maison et je lui ai dit que j’avais, pour le lendemain, des places pour Covent Garden. Il a dit « Pour voir quoi ? » et j’ai dit « Don Giovanni ». Il a hoché la tête et j’ai haï cet Américain dont il était épris. Ah évidemment, celui-là, il avait déjà dû lui faire découvrir « la vraie profondeur » de cet opéra. Un connaisseur. Normal, il avait dû étudier dans une des universités de l’Ivy League. Ben voyons, la culture des Riches ! J’avais côtoyé ses homologues anglais au temps où Diana, la princesse de Galles adorée des britanniques, m’adorait et ressentait pour moi quelque chose de spécial. Des têtes à claques ceux-là, à me faire des sourires parce que je vendais des millions de disques et accumulais les disques d’or sans en penser moins. Ah oui, George Daniel. Il est quoi à ‘origine ? Egyptien ou Grec ? Dis-donc, j’ai oublié !  C’est amusant qui ont un tel succès alors qu’ils ont arrêté l’école à seize ans, tu ne trouves pas ? Quelle bande de mesquins !  Oui, il devait être comme eux ! Oh Erik, Erik, il fallait t’aider à te réveiller là…Tu venais d’un milieu simple, on t’avait très bien formé. Tu n’allais tout de même pas te laisser farcir la tête par ce type qui travaillait pour l’opéra de New York. Besoin de lui pour apprécier Mozart ? Non. Tout de même, le bel Erik, il connaissait cette œuvre bien mieux que moi et il me l’a commentée à l’entracte sans appesantir, ce qui m’a fait penser que tout partait très mal. Il avait bien travaillé, l’autre ! Je faisais erreur car il s’est soudain arrêté de parler et a pouffé de rire. Il était caricatural, en avais conscience et était prêt à s’en excuser !  Quoiqu’il en soit, cette soirée s’est avérée charmante. Il était très attentif à moi, le danseur, très à l’écoute et plein de tact. Et sa sensibilité était réelle.

Evidemment, avoir choisi cette œuvre magnifique où un grand libertin avide de pouvoir et de femmes est confronté en la personne du commandeur au tribunal du ciel, ça n’était pas sans connotation pour moi. J’avais réservé au dernier moment pour un spectacle qui était à l’affiche de jour-là mais ceci n’expliquait pas tout. Au sortir du théâtre, nous avons marché sous la pluie avant de retrouver la voiture. J’avais en tête ses images de damnation et de châtiment divin qui marquent la fin de l’opéra et je demeurais anxieux. Allais-je être jugé ainsi aux derniers jours de ma vie ? En un bref raccourci, j’ai eu soudain l’intuition que cet ultime jour de mon existence était bien plus proche de moi qu’il n’y paraissait et je me suis souvenu de l’émotion de mon jeune amant dans le grand salon aux meubles recouverts de draps blancs de ma maison. S’il allait avoir raison ? Comme il conduisait pour nous ramener à bon port, je me suis ouvert à lui sans qu’il m’interrompe. Il m’a apaisé. Le Commandeur face à Dom Juan, c’est l’archétype de la justice qui écrase celui qui toujours a bafoué l’amour et les codes sociaux. Je n’étais pas un hors la loi au sens où l’est cet aristocrate roué, même si j’avais eu, c’était le moins qu’on puisse dire, en étroit rapport avec des lois que, selon lui, j’avais passé pas mal de temps soit à contourner soit à défier. Je n’aurais pas besoin d’un tribunal céleste aussi catégorique et cruel parce que j’étais profondément attaché à ma terre natale, que j’avais assumé mes contradictions et que j’étais resté dans l’amour. Et aussi parce que j’avais une totale maîtrise de mon art tant dans le domaine de la chanson que de la composition. Un tel déluge de compliments m’a bouleversé plus encore et j’ai écouté le très lyrique et imaginatif Erik me parler du poète Orphée…

Je ne voudrais pas paraître prosaïque mais j’avais hâte que nous soyons arrivés car je voulais faire l’amour. La nuit a été longue et dense. Je n’avais plus peur du tout. J’avais un jeune amant habile et adroit et nous étions très accordés.

Dans les temps qui ont suivi, il m’a sondé sur mes dépendances. J’avais consulté un nouveau jeune médecin dont on m’avait dit du bien et je dois reconnaître que, sans être totalement désintoxiqué, je présentais de bons signes de guérison. Je pouvais lui en fournir des preuves s’il le souhaitait. J’étais sous médicaments et prenais soin de moi. Il ne m’a pas fait l’affront de ne pas me croire sur parole et nos rapports sont restés forts sans être passionnés (comme je l’aurais voulu) jusqu’à la fin de son séjour. Je voulais qu’il reste mais il ne le pouvait pas. Avoir pu voir Marjan avant de rester cinq jours à mes côtés, c’était déjà extraordinaire. Les Américains (j’en savais quelque chose) ne plaisantaient pas avec les contrats. Il avait donc accepté d’être sur programmé. Quant aux projets de films qu’il avait, il ne pouvait à l’heure actuelle, y donner aucune suite.

On a connu des temps merveilleux. L’amour transforme la vision qu’on a des corps. De celui d’Erik, j’aimais tout. Ses hanches fines, ses jambes très musclées, son torse glabre (je devais faire épiler le mien au début de ma carrière tant j’étais velu), son teint si clair et cette blondeur émerveillante. Curieux, je ne m’étais jamais intéressé à ce genre de physique. Il aimait le mien aussi, à priori. En tous cas, sexuellement, c’était magnifique. De beaux échanges, une vraie entente.

Et puis, grâce à lui, tout était facile. J’ai pris une décision concernant la pochette de mon album : un homme de dos, dont on devine qu’il est moi, et qui regarde vers un fonds bleu, comme un ciel paisible…

Quand il est parti, je suis tombé dans une grande tristesse mais cet album m’obsédait. Il était au mixage et serait mis en vente en septembre en Grande Bretagne. En attendant, je donnais des interviews, travaillait quelques clips et mettait au point des passages à la télévision. Bref, je renouais avec la promotion de mon travail. Je demeurais toujours dans le vaste appartement londonien que j’avais déniché mais avait retiré de la vente ma belle propriété banlieusarde. Je m’y rendais de plus en plus souvent et j’y réinvitais des amis, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Faisant suite à l’insistance d’Erik, j’ai revu Paul à plusieurs reprises mais lui ai rapidement préféré un de mes assistants, qui était toute admiration et ne savait pas grand-chose de ma part d’ombre. Un gentil garçon qui ne savait pas à qui il s’attaquait …

L’été anglais a été serein. J’ai accepté des invitations à droite et à gauche et séjourné dans de belles propriétés. J’ai revu Nicolas et Jonathan avec plaisir. Erik restait sans faille et m’envoyait des messages quotidiens, petits billets d’humeur sans conséquence mais qui montraient le souci qu’il prenait de moi et l’affection qu’il me portait. Je n’avais pas réussi à lui faire dire que c’était de l’amour…

Pour le réveiller, je lui ai fait savoir que je réinstallais dans ma « gentilhommière » du sud de Londres et avait engagé deux personnes à demeure. Discrètement, elles veilleraient sur moi…

En septembre, j’étais heureux. On avait parlé avec un étonnement admiratif de mon brusque retour au- devant de la scène, moi, l’homme de cinquante -deux ans que la jeune génération de compositeurs-interprètes avait enterré ! Je ne l’étais définitivement pas. « Heaven » n’a pas eu le succès planétaire de « Faith » ni les honneurs de « Older » ou de « Patience ». Il a été très estimé, son contenu éclectique et brillant étant rapproché de mon cher « Listen without prejudice ». En Angleterre, j’ai beaucoup vendu. Aux Etats-Unis, j’étais boudé depuis longtemps et dans les pays non anglophones, j’avais des admirateurs qui suivaient avec intérêt mon œuvre. Non, pour moi, tout s’est terminé dans l’honneur.  Après cette traversée du désert qui avait duré plus de deux ans, les éloges critiques que je recevais ainsi que de nombreuses lettres de fans m’ont autant touché que les ventes flatteuses que j’ai réalisées.

 

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