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George Daniel est mort mais pour A. Qu'il retrouve dans un ineffable paradis comme pour certains des

jeunes gens de Roquebrune, il est Vivant. Il faudra être créatif pour lui...

 

George D. Hors la terre. Juin 2017. Dialogues avec A.

Ton enterrement, j’ai aimé. Il était sobre.

Il était grotesque ! Cette cérémonie « intimiste », franchement… A, tu as mauvais goût !

Toujours à me contredire ! J’insiste : ton enterrement m’a plu. Par contre, les hommages qu’on continue de te rendre à la télévision…Franchement…Ces commentaires   ridicules et ces mines de circonstance de la part d’artistes et de journalistes que tu connaissais !

Tu veux que je te dise, je m’en moque. J’aime la décence de ces gens simples qui continuent de tourner autour de ma maison pour me rendre hommage et qui retiennent leurs larmes. Même dans la mort, je suis un enfant gâté. J’ai besoin de preuves.

Mais George, des preuves, tu en as reçues ! Tu as été aimé et tu l’es toujours. Moi, j’étais un pauvre et je ne n’ai pas regretté de l’être ! Mes obsèques ont été obscures. Toi, tu avais atteint la notoriété et tu voulais quoi ? Etre traité comme un riche ? Un immense convoi funéraire, des milliers de fans et quelques centaines de courtisans ? Ah, tu voulais rivaliser avec la princesse Diana ? Mais elle était de sang noble, elle, et princesse de Galles qui plus est. Alors, George ? Ah tu aurais aimé, avoue-le, un carrosse avec des chevaux noirs, la crinière ornée de plumes ! Tu auras toujours été égal à toi-même, voulant être une star jusqu’au bout ! Allez, mon Anglais, tu en es une, mais sur ce coup- là, tes sœurs ont eu raison. Mieux vaut mourir simplement !

Tu as raison en partie. Elles ne m’ont guère consulté de mon vivant.

Tu peux être en paix. Tes chansons sont dans les cœurs, elles hanteront les mémoires.

Et ça justifie ce petit cimetière ?

Oui !

Non !

Ce qui est important, c’est le souvenir. Tu as des gardiens de ce côté-là ! Et puis, avec ces jeunes gens qui t’ont recueilli, tu as une garde rapprochée.  Ils s’en sortent tous. Le pianiste, le sculpteur et la styliste ont le vent en poupe. Et même l’autre danseur, la comédienne et cette jeune femme metteur en scène !  Ils rencontrent tous une reconnaissance publique. Tu as remarqué ? Souvent on t’a dénigré pour tes sautes d’humeur et cette manie irritante que tu avais de veiller sur ton patrimoine. On n’a pas voulu voir que tu étais généreux et ça a été pourtant le cas avec eux ! Et désormais, tu es en eux et ils parleront de toi et pour longtemps.

Mais lui ? Lui ?

Oh tu sais…Il ne vit pas dans le même temps que toi. Ne pense pas que tu l’auras juste atteint comme ça, à un moment de sa vie où tout pouvait arriver…Il est trop intègre en un sens pour oublier ton nom…Il danse, tu ne comprends pas, il danse. Les Anglais comprennent-ils cela ? C’est un danois formé à l’école de Bournonville, donc dans un style particulier. C’est le même qui a produit des solistes comme Erik Bruhn, qu’il ne peut qu’adorer…Il est dans un univers qui, de toute façon, n’aurait jamais été le tien mais à cause de toi, il est plus magnifique qu’avant.

Peut-être, peut-être pas. On est des amants irréguliers : moi mort, lui vivant…

L’irrégularité, tu connais…

Oui

Oh, tu  veilleras sur lui ! Tu le feras comme moi je l’ai fait pour toi ! Tu t’es engagé vis-à-vis de lui ! Tu devras t’y tenir.

C’est ce que je ferai, A.

Tu l’as atteint comme il t’a atteint. Il ne peut danser comme avant…

Danser ? Chanter ?

Oui, George, tu parles aux générations présentes et futures.  Parce qu’atteindre autrui par la beauté de ses chants, c’est un désir que l’antiquité a fait naître. Il n’anime pas que toi. Il a traversé les siècles, ce désir. Toi, tu l’as et ceux qui t’aimaient dès le début seront rejoints par ceux qui, jusque-là, ignoraient ta musique…Elle parcourra les rues…

Mais si je l’ai atteint, si sa carrière va s’infléchir, s’il est devenu plus magnifique qu’avant, que me donnera- t-il en échange de cette force nouvelle ?

Ce à quoi tu ne t’attends pas.

Quoi ? Allez, parle !

La sérénité.

Quand je suis mort, je l’ai atteinte.

Non, tu as tendu vers elle. Maintenant, ça y est.

La sérénité des anges ?

Presque.

  

Marjan. Amsterdam. Septembre 2017

Mon premier long métrage est terminé. Ce fut un tournage rapide. Avec mon compagnon, j’ai un nouveau projet. Je veux raconter l’histoire d’un garçonnet de sept ans qui, dans l’Angleterre des années soixante-dix décide qu’il sera une pop star. Quelques années plus tard, son rêve s’est réalisé. Il est célèbre et adulé et surtout, il est très doué. Je tournerai ce film en Grande-Bretagne, coute que coute. C’est une certitude. Du reste, je considère que j’ai une dette à payer à George Daniel, sans qui rien ne serait possible. Pour interpréter son rôle enfant et jeune homme, je prendrais des inconnus. Ce sera très réaliste mais aussi très illustratif et enlevé. Je lui ferai honneur.

  

Carolyn. New York. Hiver 2017

L’idée de faire un spectacle musical sur l’univers de George Daniel s’est lentement imposée à la troupe pour laquelle je travaille. Les répétitions sont en cours. Aucun de nous n’a suivi la piste biographique. Les chansons de George sont regroupées par thématiques. Nous les chantons à plusieurs et les intermèdes chorégraphiques seront dansés par Erik. J’ai mis du temps à le décider car il s’opposait à ce projet. Quand il l’a enfin accepté, je lui ai demandé les raisons de son revirement. Il m’a dit que son compagnon lui avait offert un dessin qu’il avait fait de lui. Il s’intitulait Le jeune homme et la mort. Son visage y était ensanglanté et allait disparaissant. Il avait là une dimension tellement fausse du sacrifice qu’il avait réagi. Il avait compris qu’il devait cesser de faire attendre son amant et il était devenu avec lui bien plus aimant et positif. Alors, participer à cette aventure…

Heureusement pour nous, il a changé d’avis, assumant tout ce qui pourrait en découler… Concernant George, il avait déposé ses illusions. Il n’en ferait pas un amour trop vite perdu et laminant. Il lui rendrait un hommage public en contribuant à la réussite de ce spectacle, d’une part et en conduisant sa carrière à son sommet. C’était, à l’entendre, le meilleur qui pouvait lui advenir. Il me l’a dit et je l’ai cru. Si tant est qu’on puisse croire quelqu’un comme lui, si épris de perfection que notre spectacle risquait de ne pas être assez brillant pour lui…

Depuis, nous travaillons collectivement. Nous avons décidé de relier ce spectacle à son prénom, dont nous nous étions en fait peu souciés au départ. Qui sont ces « George » ? Ils sont vifs, communicatifs et adaptables et ils sont de plus sympathiques et charmants. Tout en demeurant quelque peu réservés, et en cherchant à préserver leur individualité ainsi que leur intimité, ils savent néanmoins être sociables, mêlant introversion et extra version selon les moments. Ils sont souvent très créatifs, leur caractère introverti aidant leur créativité. Dans le monde méditerranéen, ils sont des terriens, des laboureurs mais aussi des êtres doués pour les combats surhumains, comme celui qui consiste à terrasser un dragon. Mais bien sûr, cela ne suffira pas. 

Nous avons  passé des mois à chercher des pistes, à  comprendre ce qu’il fallait exactement montrer de lui pour le rendre tel qu’il était : atteint par les aléas de la vie comme tout un chacun mais royal, généreux, plein d’humour et de vie, incroyablement créatif sur scène et incomparable chanteur. Et pour finir, rattrapé en fin de vie par une sérénité profonde…

Nous ne sommes pas au bout de nos peines et pour Erik aussi, ce sera long. Danser l’homme et la star, incarner des époques, ne jamais lui ressembler mais toujours l’évoquer. Utiliser le répertoire classique pour une part et certaines musiques de ses chansons pour d’autres. D’autant qu’il en sait tellement plus que nous…Pour l’instant, il est évasif mais, je le sais, il cherche. Nous-aussi.

Des mois à venir, pleins de recherche et de bonheur. Pour lui. Pour George D.